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bluet dans les roches d’un torrent ; mais dans celle d’un Référendaire attendant le retour aux affaires du système dont le représentant est son protecteur, et qui, par distraction, élevait Canalis au biberon pour la Tribune, cette jolie fille, en qui son imagination persistait à lui faire voir la jolie blonde, devait se loger dans le cœur et y causer les mille dégâts des romans qui entrent chez une existence bourgeoise, comme un loup dans une basse-cour. Ernest se préoccupa donc beaucoup de l’inconnue du Havre, et il répondit la lettre que voici, lettre étudiée, lettre prétentieuse, mais où la passion commençait à se révéler par le dépit.



VIII.
à mademoiselle O. d’Este-M.


« Mademoiselle, est-il bien loyal à vous de venir s’asseoir dans le cœur d’un pauvre poëte avec l’arrière-pensée de le laisser là, s’il n’est pas selon vos désirs, en lui léguant d’éternels regrets, en lui montrant pour quelques instants une image de la perfection, ne fût-elle que jouée, ou tout au moins un commencement de bonheur ? Je fus bien imprévoyant en sollicitant cette lettre où vous commencez à dérouler la rubannerie de vos idées. Un homme peut très bien se passionner pour une inconnue qui sait allier tant de hardiesse à tant d’originalité, tant de fantaisie à tant de sentiment. Qui ne souhaiterait de vous connaître, après avoir lu cette première confidence ? Il me faut des efforts vraiment grands pour conserver ma raison en pensant à vous, car vous avez réuni tout ce qui peut troubler un cœur et une tête d’homme. Aussi profité-je du reste de sang-froid que je garde en ce moment pour vous faire d’humbles représentations.

» Croyez-vous donc, mademoiselle, que des lettres, plus ou moins vraies par rapport à la vie telle qu’elle est, plus ou moins hypocrites, car les lettres que nous nous écririons seraient l’expression du moment où elles nous échapperaient, et non pas le sens général de nos caractères ; croyez-vous, dis-je, que tant belles soient-elles, elles remplaceront jamais l’expression que nous ferions de