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militaires de ce temps-là. Le vieux Wallenrod, baron allemand déchu (la Banque est toujours baronne), charmé de savoir que le beau lieutenant représentait à lui seul les Mignon de la Bastie, approuva la passion de la blonde Bettina, qu’un peintre (il y en avait un alors à Francfort) avait fait poser pour une figure idéale de l’Allemagne. Wallenrod, nommant par avance ses petits-fils comtes de la Bastie-Wallenrod, plaça dans les fonds français la somme nécessaire pour donner à sa fille trente mille francs de rente. Cette dot fit une très faible brèche à sa caisse, vu le peu d’élévation du capital. L’Empire, par suite d’une politique à l’usage de beaucoup de débiteurs, payait rarement les semestres. Aussi Charles parut-il assez effrayé de ce placement, car il n’avait pas autant de foi que le baron allemand dans l’aigle impériale. Le phénomène de la croyance ou de l’admiration, qui n’est qu’une croyance éphémère, s’établit difficilement en concubinage avec l’idole. Le mécanicien redoute la machine que le voyageur admire, et les officiers étaient un peu les chauffeurs de la locomotive napoléonienne, s’ils n’en furent pas le charbon. Le baron de Wallenrod-Tustall-Bartenstild promit alors de venir au secours du ménage.

Charles aima Bettina Wallenrod autant qu’il était aimé d’elle, et c’est beaucoup dire ; mais quand un Provençal s’exalte, tout chez lui devient naturel en fait de sentiment. Et comment ne pas adorer une blonde échappée d’un tableau d’Albert Durer, d’un caractère angélique, et d’une fortune notée à Francfort ? Charles eut donc quatre enfants dont il restait seulement deux filles, au moment où il épanchait ses douleurs au cœur du Breton. Sans les connaître, Dumay aima ces deux petites par l’effet de cette sympathie, si bien rendue par Charlet, qui rend le soldat père de tout enfant ! L’aînée, appelée Bettina-Caroline, était de 1805, l’autre, Marie-Modeste, de 1808.

Le malheureux lieutenant-colonel sans nouvelles de ces êtres chéris, revint à pied, en 1814, en compagnie du lieutenant, à travers la Russie et la Prusse. Ces deux amis, pour qui la différence des épaulettes n’existait plus, atteignirent Francfort au moment où Napoléon débarquait à Cannes. Charles trouva sa femme à Francfort, mais en deuil ; elle avait eu la douleur de perdre son père de qui elle était adorée et qui voulait toujours la voir souriant, même à son lit de mort. Le vieux Wallenrod ne survivait pas aux désastres de l’Empire. À soixante-douze ans, il avait spéculé sur les cotons, en croyant