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tions, et qu’enfin l’embouchure du fleuve, le port, les bassins, présentent un spectacle tout autre que celui des cinquante mille maisons de Paris. Au bas de Montmartre, un océan d’ardoises montre ses lames bleues figées ; à Ingouville, on voit comme des toits mobiles agités par les vents. Cette éminence, qui, depuis Rouen jusqu’à la mer, côtoie le fleuve en laissant une marge plus ou moins resserrée entre elle et les eaux, mais qui certes contient des trésors de pittoresque avec ses villes, ses gorges, ses vallons, ses prairies, acquit une immense valeur à Ingouville depuis 1816, époque à laquelle commença la prospérité du Havre. Cette commune devint l’Auteuil, le Ville-d’Avray, le Montmorency des commerçants, qui se bâtirent des villas étagées sur cet amphithéâtre pour y respirer l’air de la mer parfumé par les fleurs de leurs somptueux jardins. Ces hardis spéculateurs s’y reposent des fatigues de leurs comptoirs et de l’atmosphère de leurs maisons serrées les unes contre les autres, sans espace, souvent sans cour, comme les font et l’accroissement de la population du Havre, et la ligne inflexible de ses remparts, et l’agrandissement des bassins. En effet, quelle tristesse au cœur du Havre, et quelle joie à Ingouville ! La loi du développement social a fait éclore comme un champignon le faubourg de Graville, aujourd’hui plus considérable que le Havre, et qui s’étend au bas de la côte comme un serpent.

À sa crête, Ingouville n’a qu’une rue ; et, comme dans toutes ces positions, les maisons qui regardent la Seine ont nécessairement un immense avantage sur celles de l’autre côté du chemin auxquelles elles masquent cette vue, mais qui se dressent, comme des spectateurs, sur la pointe des pieds, afin de voir par-dessus les toits. Néanmoins il existe là, comme partout, des servitudes. Quelques maisons assises au sommet occupent une position supérieure ou jouissent d’un droit de vue qui oblige le voisin à tenir ses constructions à une hauteur voulue. Puis la roche capricieuse est creusée par des chemins qui rendent son amphithéâtre praticable ; et, par ces échappées, quelques propriétés peuvent apercevoir ou la ville, ou le fleuve, ou la mer. Sans être coupée à pic, la colline finit assez brusquement en falaise. Au bout de la rue qui serpente au sommet, on aperçoit les gorges où sont situées quelques villages, Sainte-Adresse, deux ou trois saints-je-ne-sais-qui, et les criques où mugit l’Océan. Ce côté presque désert d’Ingouville forme un contraste frappant avec les belles villas qui regardent