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— Vous m’avez bien punie ! lui dit-elle.

Vandenesse la regarda d’un air hébété.

— Punie ! répéta-t-il. Et de quoi ?

Charles comprenait bien la marquise ; mais il voulait se venger des souffrances auxquelles il avait été en proie, du moment où elle les soupçonnait.

— Pourquoi n’êtes-vous pas venu me voir ? demanda-t-elle en souriant.

— Vous n’avez donc vu personne ? dit-il pour ne pas faire une réponse directe.

— Monsieur de Ronquerolles et monsieur de Marsay, le petit d’Esgrignon, sort restés ici, l’un hier, l’autre ce matin, près de deux heures. J’ai vu, je crois, aussi madame Firmiani et votre sœur, madame de Listomère.

Autre souffrance ! Douleur incompréhensible pour ceux qui n’aiment pas avec ce despotisme envahisseur et féroce dont le moindre effet est une jalousie monstrueuse, un perpétuel désir de dérober l’être aimé à toute influence étrangère à l’amour.

— Quoi ! se dit en lui-même Vandenesse, elle a reçu, elle a vu des êtres contents, elle leur a parlé, tandis que je restais solitaire, malheureux !

Il ensevelit son chagrin et jeta son amour au fond de son cœur, comme un cercueil à la mer. Ses pensées étaient de celles que l’on n’exprime pas ; elles ont la rapidité de ces acides qui tuent en s’évaporant. Cependant son front se couvrit de nuages, et madame d’Aiglemont obéit à l’instinct de la femme en partageant cette tristesse sans la concevoir. Elle n’était pas complice du mal qu’elle faisait, et Vandenesse s’en aperçut. Il parla de sa situation et de sa jalousie, comme si c’eût été l’une de ces hypothèses que les amants se plaisent à discuter. La marquise comprit tout, et fut alors si vivement touchée qu’elle ne put retenir ses larmes. Dès ce moment, ils entrèrent dans les cieux de l’amour. Le ciel et l’enfer sont deux grands poèmes qui formulent les deux seuls points sur lesquels tourne notre existence : la joie ou la douleur. Le ciel n’est-il pas, ne sera-t-il pas toujours une image de l’infini de nos sentiments qui ne sera jamais peint que dans ses détails, parce que le bonheur est un ; et l’enfer ne représente-t-il pas les tortures infinies de nos douleurs dont nous pouvons faire œuvre de poésie, parce qu’elles sont toutes dissemblables ?