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dont l’utilité lui paraissait contestable. Dans la situation où elle trouvait, la voix de la religion ne pouvait qu’envenimer ses maux ; puis, elle ne croyait guère aux curés de village, ni à leurs lumières ; elle résolut donc de mettre le sien à sa place, sans aigreur, et de s’en débarrasser à la manière des riches, par un bienfait. Le curé vint, et son aspect ne changea pas les idées de la marquise. Elle vit un gros petit homme à ventre saillant, à figure rougeaude, mais vieille et ridée, qui affectait de sourire et qui souriait mal ; son crâne chauve et transversalement sillonné de rides nombreuses retombait en quart de cercle sur son visage et le rapetissait ; quelques cheveux blancs garnissaient le bas de la tête au-dessus de la nuque et revenaient en avant vers les oreilles. Néanmoins, la physionomie de ce prêtre avait été celle d’un homme naturellement gai. Ses grosses lèvres, son nez légèrement retroussé, son menton, qui disparaissait dans un double pli de rides, témoignaient d’un heureux caractère. La marquise n’aperçut d’abord que ces traits principaux ; mais, à la première parole que lui dit le prêtre, elle fut frappée par la douceur de cette voix ; elle le regarda plus attentivement, et remarqua sous ses sourcils grisonnants des yeux qui avaient pleuré ; puis le contour de sa joue, vue de profil, donnait à sa tête une si auguste expression de douleur, que la marquise trouva un homme dans ce curé.

— Madame la marquise, les riches ne nous appartiennent que quand ils souffrent ; et les souffrances d’une femme mariée, jeune, belle, riche, qui n’a perdu ni enfants ni parents, se devinent et sont causées par des blessures dont les élancements ne peuvent être adoucis que par la religion. Votre âme est en danger, madame. Je ne vous parle pas en ce moment de l’autre vie qui nous attend ! Non, je ne suis pas au confessionnal. Mais n’est-il pas de mon devoir de vous éclairer sur l’avenir de votre existence sociale ? Vous pardonnerez donc à un vieillard une importunité dont l’objet est votre bonheur.

— Le bonheur, monsieur, il n’en est plus pour moi. Je vous appartiendrai bientôt, comme vous le dites, mais pour toujours.

— Non, madame, vous ne mourrez pas de la douleur qui vous oppresse et se peint dans vos traits. Si vous aviez dû en mourir, vous ne seriez pas à Saint-Lange. Nous périssons moins par les effets d’un regret certain que par ceux des espérances trompées. J’ai connu de plus intolérables, de plus terribles douleurs qui n’ont pas donné la mort.