Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nourriture. Sa mère se mit à genoux en le suppliant de manger. Calyste s’efforça de vaincre sa répugnance pour plaire à sa mère. La nourriture prise à contre-cœur accéléra la petite fièvre lente qui dévorait ce beau jeune homme.

Dans les derniers jours d’octobre, l’enfant chéri ne remontait plus se coucher au second, il avait son lit dans la salle basse, et il y restait la plupart du temps au milieu de sa famille, qui eut enfin recours au médecin de Guérande. Le docteur essaya de couper la fièvre avec du quinine, et la fièvre céda pour quelques jours. Le médecin avait ordonné de faire faire de l’exercice à Calyste et de le distraire. Le baron retrouva quelque force et sortit de son apathie ; il devint jeune quand son fils se faisait vieux. Il emmena Calyste, Gasselin et ses deux beaux chiens de chasse. Calyste obéit à son père, et pendant quelques jours tous trois chassèrent : ils allèrent en forêt, ils visitèrent leurs amis dans les châteaux voisins ; mais Calyste n’avait aucune gaieté, personne ne pouvait lui arracher un sourire, son masque livide et contracté trahissait un être entièrement passif. Le baron, vaincu par la fatigue, tomba dans une horrible lassitude et fut obligé de revenir au logis, ramenant Calyste dans le même état.

Quelques jours après leur retour, le père et le fils furent si dangereusement malades, qu’on fut obligé d’envoyer chercher, sur la demande même du médecin de Guérande, les deux plus fameux docteurs de Nantes. Le baron avait été comme foudroyé par le changement visible de Calyste. Doué de cette effroyable lucidité que la nature donne aux moribonds, il tremblait comme un enfant de voir sa race s’éteindre : il ne disait mot, il joignait les mains, priait Dieu sur son fauteuil où le clouait sa faiblesse. Il était tourné vers le lit occupé par Calyste et le regardait sans cesse. Au moindre mouvement que faisait son enfant, il éprouvait une vive commotion comme si le flambeau de sa vie en était agité. La baronne ne quittait plus cette salle, où la vieille Zéphirine tricotait au coin de la cheminée dans une inquiétude horrible : on lui demandait du bois, car le père et le fils avaient également froid ; on attaquait ses provisions : aussi avait-elle pris le parti de livrer ses clefs, n’étant plus assez agile pour suivre Mariotte ; mais elle voulait tout savoir, elle questionnait à voix basse Mariotte et sa belle-sœur à tout moment ; elle les prenait à part afin de connaître l’état de son frère et de son neveu. Quand un soir, pendant un