Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noblesse de leurs sentiments. Telle femme près de nous abandonner dans la prospérité nous sacrifie tout dans le malheur, disait-il. Les femmes ont sur les hommes l’avantage de la constance ; il faut les avoir bien blessées pour les détacher d’un premier amant, elles y tiennent comme à leur honneur ; un second amour est honteux, etc. Il fut d’une moralité parfaite, il encensait l’autel où saignait un cœur percé de mille coups. Camille et Béatrix comprenaient seules l’âpreté des épigrammes acérées qu’il décochait d’éloge en éloge. Par moments toutes deux rougissaient, mais elles étaient forcées de se contenir ; elles se donnèrent le bras pour remonter chez Camille, et passèrent, d’un commun accord, par le grand salon où il n’y avait pas de lumière et où elles pouvaient être seules un moment.

— Il m’est impossible de me laisser marcher sur le corps par Conti, de lui donner raison sur moi, dit Béatrix à voix basse. Le forçat est toujours sous la domination de son compagnon de chaîne. Je suis perdue, il faudra retourner au bagne de l’amour. Et c’est vous qui m’y avez rejetée ! Ah ! vous l’avez fait venir un jour trop tard ou un jour trop tôt. Je reconnais là votre infernal talent d’auteur : la vengeance est complète, et le dénoûment parfait.

— J’ai pu vous dire que j’écrirais à Conti, mais le faire !… j’en suis incapable ! s’écria Camille. Tu souffres, je te pardonne.

— Que deviendra Calyste ? dit la marquise avec une admirable naïveté d’amour-propre.

— Conti vous emmène donc ? demanda Camille.

— Ah ! vous croyez triompher ? s’écria Béatrix.

Ce fut avec rage et sa belle figure décomposée que la marquise dit ces affreuses paroles à Camille qui essaya de cacher son bonheur par une fausse expression de tristesse ; mais l’éclat de ses yeux démentait la contraction de son masque, et Béatrix se connaissait en grimaces ! Aussi, quand elles se virent aux lumières en s’asseyant sur ce divan où, depuis trois semaines, il s’était joué tant de comédies, et où la tragédie intime de tant de passions contrariées avait commencé, ces deux femmes s’observèrent-elles pour la dernière fois : elles se virent alors séparées par une haine profonde.

— Calyste te reste, dit Béatrix en voyant les yeux de son amie ; mais je suis établie dans son cœur, et nulle femme ne m’en chassera.

Camille répondit avec un imitable accent d’ironie, et qui atteignait la marquise au cœur, par les célèbres paroles de la nièce de Mazarin à Louis XIV : — Tu règnes, tu l’aimes, et tu pars !