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avec Calyste, pour qui ces fleurs et ce feuillage devaient être une éternelle, une sinistre image.

— Nous y joindrons du buis, dit-elle en souriant. Elle resta quelque temps sur la jetée où Calyste, en attendant la barque, lui raconta son enfantillage le jour de son arrivée. — Votre escapade, que j’ai sue, fut la cause de ma sévérité le premier jour, dit-elle.

Pendant cette promenade, madame de Rochegude eut ce ton légèrement plaisant de la femme qui aime, comme elle en eut la tendresse et le laissez-aller. Calyste pouvait se croire aimé. Mais quand, en allant le long des rochers sur le sable, ils descendirent dans une de ces charmantes criques où les vagues ont apporté les plus extraordinaires mosaïques composées des marbres les plus étranges, et qu’ils y eurent joué comme des enfants en cherchant les plus beaux échantillons ; quand Calyste, au comble de l’ivresse, lui proposa nettement de s’enfuir en Irlande, elle reprit un air digne, mystérieux, lui demanda son bras, et ils continuèrent leur chemin vers la roche qu’elle avait surnommée sa roche Tarpéienne.

— Mon ami, lui dit-elle en gravissant à pas lents ce magnifique bloc de granit dont elle devait se faire un piédestal, je n’ai pas le courage de vous cacher tout ce que vous êtes pour moi. Depuis dix ans je n’ai pas eu de bonheur comparable à celui que nous venons de goûter en faisant la chasse aux coquillages dans ces roches à fleur d’eau, en échangeant ces cailloux avec lesquels je me ferai faire un collier qui sera plus précieux pour moi que s’il était composé des plus beaux diamants. Je viens d’être petite fille, enfant, telle que j’étais à quatorze ou seize ans, et alors digne de vous. L’amour que j’ai eu le bonheur de vous inspirer m’a relevée à mes propres yeux. Entendez ce mot dans toute sa magie. Vous avez fait de moi la femme la plus orgueilleuse, la plus heureuse de son sexe, et vous vivrez peut-être plus longtemps dans mon souvenir que moi dans le vôtre.

En ce moment, elle était arrivée au faîte du rocher, d’où se voyait l’immense Océan d’un côté, la Bretagne de l’autre avec ses îles d’or, ses tours féodales et ses bouquets d’ajoncs. Jamais une femme ne fut sur un plus beau théâtre pour faire un si grand aveu.

— Mais, dit-elle, je ne m’appartiens pas, je suis plus liée par ma volonté que je ne l’étais par la loi. Soyez donc puni de mon