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coiffure. « Vous êtes coiffée en conquête, » lui ai-je dit. Ce mot fut répété dans toutes les loges.

La baronne écouta complaisamment le vieillard, qui, fidèle aux lois de la galanterie, reconduisit la baronne jusqu’à sa ruelle en négligeant Thisbé. Le secret de la naissance de Thisbé échappa au chevalier. Thisbé était petite-fille de la délicieuse Thisbé, chienne de madame l’amirale de Kergarouët, première femme du comte de Kergarouët. Cette dernière Thisbé avait dix-huit ans. La baronne monta lestement chez Calyste, légère de joie comme si elle aimait pour son compte. Calyste n’était pas chez lui ; mais Fanny aperçut une lettre pliée sur la table, adressée à madame de Rochegude, et non cachetée. Une invincible curiosité poussa cette mère inquiète à lire la réponse de son fils. Cette indiscrétion fut cruellement punie. Elle ressentit une horrible douleur en entrevoyant le précipice où l’amour faisait tomber Calyste.

CALYSTE À BÉATRIX.


« Et que m’importe la race des du Guénic par le temps où nous vivons, chère Béatrix ! Mon nom est Béatrix, le bonheur de Béatrix est mon bonheur, sa vie ma vie, et toute ma fortune est dans son cœur. Nos terres sont engagées depuis deux siècles, elles peuvent rester ainsi pendant deux autres siècles ; nos fermiers les gardent, personne ne peut les prendre. Vous voir, vous aimer, voilà ma religion. Me marier ! cette idée m’a bouleversé le cœur. Y a-t-il deux Béatrix ? Je ne me marierai qu’avec vous, j’attendrai vingt ans s’il le faut ; je suis jeune, et vous serez toujours belle. Ma mère est une sainte, je ne dois pas la juger. Elle n’a pas aimé ! Je sais maintenant combien elle a perdu, et quels sacrifices elle a faits. Vous m’avez appris, Béatrix, à mieux aimer ma mère, elle est avec vous dans mon cœur, il n’y aura jamais qu’elle, voilà votre seule rivale, n’est-ce pas vous dire que vous y régnez sans partage ? Ainsi vos raisons n’ont aucune force sur mon esprit. Quant à Camille, vous n’avez qu’un signe à me faire, je la prierai de vous dire elle-même que je ne l’aime pas ; elle est la mère de mon intelligence, rien de moins, rien de plus. Dès que je vous ai vue, elle est devenue ma sœur, mon amie ou mon ami, tout ce qu’il vous plaira ; mais nous n’avons pas d’autres droits que celui de l’amitié l’un sur l’autre. Je l’ai prise pour une femme jusqu’au mo-