Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/428

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comme Béatrix a passé dans la vie de Dante. Mon cœur servira de piédestal à une statue blanche, vindicative, jalouse et oppressive. Il vous est défendu de m’aimer ; vous souffririez mille morts, vous seriez trahie, humiliée, malheureuse : il est en vous un orgueil de démon qui vous lie à la colonne que vous avez embrassée ; vous y périrez en secouant le temple comme fit Samson. Ces choses, je ne les ai pas devinées, mon amour est trop aveugle ; mais Camille me les a dites. Ici, ce n’est point mon esprit qui vous parle, c’est le sien ; moi je n’ai plus d’esprit dès qu’il s’agit de vous, il s’élève de mon cœur des bouillons de sang qui obscurcissent de leurs vagues mon intelligence, qui m’ôtent mes forces, qui paralysent ma langue, qui brisent mes genoux et les font plier. Je ne puis que vous adorer, quoi que vous fassiez. Camille appelle votre résolution de l’entêtement ; moi, je vous défends, et je la crois dictée par la vertu. Vous n’en êtes que plus belle à mes yeux. Je connais ma destinée : l’orgueil de la Bretagne est à la hauteur de la femme qui s’est fait une vertu du sien. Ainsi, chère Béatrix, soyez bonne et consolante pour moi. Quand les victimes étaient désignées, on les couronnait de fleurs ; vous me devez les bouquets de la pitié, les musiques du sacrifice. Ne suis-je pas la preuve de votre grandeur, et ne vous élèverez-vous pas de la hauteur de mon amour dédaigné, malgré sa sincérité, malgré son ardeur immortelle ? Demandez à Camille comment je me suis conduit depuis le jour où elle m’a dit qu’elle aimait Claude Vignon. Je suis resté muet, j’ai souffert en silence. Eh ! bien, pour vous, je trouverai plus de force encore si vous ne me désespérez pas, si vous appréciez mon héroïsme. Une seule louange de vous me ferait supporter les douleurs du martyre. Si vous persistez dans ce froid silence, dans ce mortel dédain, vous donneriez à penser que je suis à craindre. Ah ! soyez avec moi tout ce que vous êtes, charmante, gaie, spirituelle, aimante. Parlez-moi de Gennaro, comme Camille me parlait de Claude. Je n’ai pas d’autre génie que celui de l’amour, je n’ai rien qui me rende redoutable, et je serai devant vous comme si je ne vous aimais pas. Rejetterez-vous la prière d’un amour si humble, d’un pauvre enfant qui demande pour toute grâce à sa lumière de l’éclairer, à son soleil de le réchauffer ? Celui que vous aimez vous verra toujours ; le pauvre Calyste a peu de jours pour lui, vous en serez bientôt quitte. Ainsi, je reviendrai demain aux Touches, n’est-ce pas ? vous ne refuserez pas mon bras pour aller visiter les bords du Croisic