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La marquise put entendre ce reproche de mademoiselle des Touches qui disparut en grondant et emmenant Calyste, elle demeura stupéfaite de l’aveu de Calyste, sans y rien comprendre. Madame de Rochegude n’était pas aussi forte que Claude Vignon. La vérité du rôle horrible et sublime joué par Camille est une de ces infâmes grandeurs que les femmes n’admettent qu’à la dernière extrémité. Là se brisent leurs cœurs, là cessent leurs sentiments de femmes, là commence pour elles une abnégation qui les plonge dans l’enfer, ou qui les mène au ciel.

Pendant le déjeuner, auquel Calyste fut convié, la marquise, dont les sentiments étaient nobles et fiers, avait déjà fait un retour sur elle-même, en étouffant les germes d’amour qui croissaient dans son cœur. Elle fut, non pas froide et dure pour Calyste, mais d’une douceur indifférente qui le navra. Félicité mit sur le tapis la proposition d’aller le surlendemain faire une excursion dans le paysage original compris entre les Touches, le Croisic et le bourg de Batz. Elle pria Calyste d’employer la journée du lendemain à se procurer une barque et des matelots en cas de promenade sur mer. Elle se chargeait des vivres, des chevaux et de tout ce qu’il fallait avoir à sa disposition pour ôter toute fatigue à cette partie de plaisir. Béatrix brisa net en disant qu’elle ne s’exposerait pas à courir ainsi le pays. La figure de Calyste qui peignait une vive joie se couvrit soudain d’un voile.

— Et que craignez-vous, ma chère ? dit Camille.

— Ma position est trop délicate pour que je compromette, non pas ma réputation, mais mon bonheur, dit-elle avec emphase en regardant le jeune Breton. Vous connaissez la jalousie de Conti, s’il savait…

— Et qui le lui dira ?

— Ne reviendra-t-il pas me chercher ?

Ce mot fit pâlir Calyste. Malgré les instances de Félicité, malgré celles du jeune Breton, madame de Rochegude fut inflexible, et montra ce que Camille appelait son entêtement. Calyste, malgré les espérances que lui donna Félicité, quitta les Touches en proie à un de ces chagrins d’amoureux dont la violence arrive à la folie. Revenu à l’hôtel du Guénic, il ne sortit de sa chambre que pour dîner, et y remonta quelque temps après. À dix heures sa mère inquiète vint le voir, et le trouva griffonnant au milieu d’une grande quantité de papiers biffés et déchirés ; il écrivait à Béatrix, car il se