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regardant méchamment son amie au moment où l’amant prétendu demandait à rester. Lundi nous avions à causer ensemble, mardi le dîner ne valait rien, mercredi tu ne voulais pas t’attirer la colère de la baronne, jeudi tu t’allais promener avec moi, hier tu lui as dit adieu quand il ouvrait la bouche : eh ! bien, je veux qu’il reste aujourd’hui, ce pauvre garçon.

— Déjà, ma petite ! dit avec une mordante ironie Camille à Béatrix. La marquise rougit. — Restez, monsieur du Guénic, dit mademoiselle des Touches à Calyste en prenant des airs de reine et de femme piquée.

Béatrix devint froide et dure, elle fut cassante, épigrammatique, et maltraita Calyste, que sa prétendue maîtresse envoya jouer la mouche avec mademoiselle de Kergarouët.

— Elle n’est pas dangereuse, celle-là, dit en souriant Béatrix.

Les jeunes gens amoureux sont comme les affamés, les préparatifs du cuisinier ne les rassasient pas, ils pensent trop au dénoûment pour comprendre les moyens. En revenant des Touches à Guérande, Calyste avait l’âme pleine de Béatrix, il ignorait la profonde habileté féminine que déployait Félicité pour, en termes consacrés, avancer ses affaires. Pendant cette semaine la marquise n’avait écrit qu’une lettre à Conti, et ce symptôme d’indifférence n’avait pas échappé à Camille. Toute la vie de Calyste était concentrée dans l’instant si court pendant lequel il voyait la marquise. Cette goutte d’eau, loin d’étancher sa soif, ne faisait que la redoubler. Ce mot magique : Tu seras aimé ! dit par Camille et approuvé par sa mère, était le talisman à l’aide duquel il contenait la fougue de sa passion. Il dévorait le temps, il ne dormait plus, il trompait l’insomnie en lisant, et il apportait chaque soir des charretées de livres, selon l’expression de Mariotte. Sa tante maudissait mademoiselle des Touches ; mais la baronne, qui plusieurs fois était montée chez son fils en y apercevant de la lumière, avait le secret de ces veillées. Quoiqu’elle en fût restée aux timidités de la jeune fille ignorante et que pour elle l’amour eût tenu ses livres fermés, Fanny s’élevait par sa tendresse maternelle jusqu’à certaines idées ; mais la plupart des abîmes de ce sentiment étaient obscurs et couverts de nuages, elle s’effrayait donc beaucoup de l’état dans lequel elle voyait son fils, elle s’épouvantait du désir unique, incompris qui le dévorait. Calyste n’avait plus qu’une pensée, il semblait toujours voir Béatrix devant lui. Le soir, pendant la partie, ses dis-