Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heurte aucune de mes religions : elle a foi dans la noblesse, elle aime la Bretagne, elle…

— Elle a changé notre Calyste, dit la vieille aveugle en l’interrompant, car je ne comprends rien à ces paroles. Tu as une maison solide, mon beau neveu, de vieux parents qui t’adorent, de bons vieux domestiques ; tu peux épouser une bonne petite Bretonne, une fille religieuse et accomplie qui te rendra heureux, et tu peux réserver tes ambitions pour ton fils aîné, qui sera trois fois plus riche que tu ne l’es, si tu sais vivre tranquille, économiquement, à l’ombre, dans la paix du Seigneur, pour dégager les terres de notre maison. C’est simple comme un cœur breton. Tu ne seras pas si promptement, mais plus solidement un riche gentilhomme.

— Ta tante a raison, mon ange, elle s’est occupée de ton bonheur avec autant de sollicitude que moi. Si je ne réussis pas à te marier avec miss Margaret, la fille de ton oncle lord Fitz-William, il est à peu près sûr que mademoiselle de Pen-Hoël donnera son héritage à celle de ses nièces que tu chériras.

— D’ailleurs on trouvera quelques écus ici, dit la vieille tante à voix basse et d’un air mystérieux.

— Me marier à mon âge ?… dit-il en jetant à sa mère un de ces regards qui font mollir la raison des mères.

Serais-je donc sans belles et folles amours ? Ne pourrais-je trembler, palpiter, craindre, respirer, me coucher sous d’implacables regards et les attendrir ? Faut-il ne pas connaître la beauté libre, la fantaisie de l’âme, les nuages qui courent sous l’azur du bonheur et que le souffle du plaisir dissipe ? N’irais-je pas dans les petits chemins détournés, humides de rosée ? Ne resterais-je pas sous le ruisseau d’une gouttière sans savoir qu’il pleut, comme les amoureux vus par Diderot ? Ne prendrais-je pas, comme le duc de Lorraine, un charbon ardent dans la paume de ma main ? N’escaladerais-je pas d’échelles de soie ? ne me suspendrais-je pas à un vieux treillis pourri sans le faire plier ? ne me cacherais-je pas dans une armoire ou sous un lit ? Ne connaîtrais-je de la femme que la soumission conjugale, de l’amour que sa flamme de lampe égale ? Mes curiosités seront-elles rassasiées avant d’être excitées ? Vivrais-je sans éprouver ces rages de cœur qui grandissent la puissance de l’homme ? Serais-je un moine conjugal ? Non ! j’ai mordu la pomme parisienne de la civilisation. Ne voyez-vous pas que vous avez, par les chastes, par les ignorantes mœurs de la famille, préparé le feu qui me dévore,