suivit sans prendre garde à l’émotion trahie par la voix de sa femme, que dévorait la colère la plus concentrée. — Aux Italiens ? dit le mari. — Non ! s’écria Béatrix, chez mademoiselle des Touches. J’ai quelques mots à lui dire, reprit-elle quand la portière fut fermée. La voiture partit. — Mais, si vous le vouliez, reprit Béatrix, je vous conduirais d’abord aux Italiens, et j’irais chez elle après. — Non, répondit le marquis, si vous n’avez que quelques mots à lui dire, j’attendrai dans la voiture ; il est sept heures et demie. Si Béatrix avait dit à son mari : — Allez aux Italiens et laissez-moi tranquille, il aurait paisiblement obéi. Comme toute femme d’esprit, elle eut peur d’éveiller ses soupçons en se sentant coupable, et se résigna. Quand elle voulut quitter les Italiens pour venir chez moi, son mari l’accompagna. Elle entra rouge de colère et d’impatience. Elle vint à moi et me dit à l’oreille de l’air le plus tranquille du monde : — Ma chère Félicité, je partirai demain soir avec Conti pour l’Italie, priez-le de faire ses préparatifs et d’être avec une voiture et un passe-port ici. — Elle partit avec son mari. Les passions violentes veulent à tout prix leur liberté. Béatrix souffrait depuis un an de sa contrainte et de la rareté de ses rendez-vous, elle se regardait comme unie à Gennaro. Ainsi rien ne me surprit. À sa place, avec mon caractère, j’eusse agi de même. Elle se résolut à cet éclat en se voyant contrariée de la manière la plus innocente. Elle prévint le malheur par un malheur plus grand. Conti fut d’un bonheur qui me navra, sa vanité seule était en jeu. — C’est être aimé, cela ! me dit-il au milieu de ses transports. Combien peu de femmes sauraient perdre ainsi toute leur vie, leur fortune, leur considération ! — Oui, elle vous aime, lui dis-je, mais vous ne l’aimez pas ! Il devint furieux et me fit une scène : il pérora, me querella, me peignit son amour en disant qu’il n’avait jamais cru qu’il lui serait possible d’aimer autant. Je fus impassible et lui prêtai l’argent dont il pouvait avoir besoin pour ce voyage qui le prenait au dépourvu. Béatrix laissa pour Rochegude une lettre, et partit le lendemain soir en Italie. Elle y est restée dix-huit mois ; elle m’a plusieurs fois écrit, ses lettres sont ravissantes d’amitié ; la pauvre enfant s’est attachée à moi comme à la seule femme qui la comprenne. Elle m’adore, dit-elle. Le besoin d’argent a fait faire un opéra français à Gennaro, qui n’a pas trouvé en Italie les ressources pécuniaires qu’ont les compositeurs à Paris. Voici la lettre de Béatrix, vous pourrez maintenant la comprendre, si à votre âge
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