fille cadette du marquis de Casteran, qui voulait marier ses deux filles sans dot, afin de réserver toute sa fortune au comte de Casteran, son fils. Les Casteran sont, à ce qu’il paraît, de la côte d’Adam. Béatrix, née, élevée au château de Casteran, avait alors, le mariage s’est fait en 1828, une vingtaine d’années. Elle était remarquable par ce que vous autres provinciaux nommez originalité, et qui n’est simplement que de la supériorité dans les idées, de l’exaltation, un sentiment pour le beau, un certain entraînement pour les œuvres de l’art. Croyez-en une pauvre femme qui s’est laissée aller à ces pentes, il n’y a rien de plus dangereux pour une femme ; en les suivant on arrive où vous me voyez, et où est arrivée la marquise… à des abîmes. Les hommes ont seuls le bâton avec lequel on se soutient le long de ces précipices, une force qui nous manque et qui fait de nous des monstres quand nous la possédons. Sa vieille grand’mère, la douairière de Casteran, lui vit avec plaisir épouser un homme auquel elle devait être supérieure en noblesse et en idées. Les Rochegude firent très-bien les choses, Béatrix n’eut qu’à se louer d’eux ; de même que les Rochegude durent être satisfaits des Casteran, qui, liés aux Gordon, aux d’Esgrignon, aux Troisville, aux Navarreins, obtinrent la pairie pour leur gendre dans cette dernière grande fournée de pairs que fit Charles X, et dont l’annulation a été prononcée par la révolution de juillet. Le vieux Rochegude mort, son fils a eu toute sa fortune. Rochegude est assez sot ; néanmoins il a commencé par avoir un fils : et comme il a très fort assassiné sa femme de lui-même, elle en a eu bientôt assez. Les premiers jours du mariage sont un écueil pour les petits esprits comme pour les grands amours. En sa qualité de sot, Rochegude a pris l’ignorance de sa femme pour de la froideur, il a classé Béatrix parmi les femmes lymphatiques et froides : elle est blonde, et il est parti de là pour rester dans la plus entière sécurité, pour vivre en garçon et pour compter sur la prétendue froideur de la marquise, sur sa fierté, sur son orgueil, sur une manière de vivre grandiose qui entoure de mille barrières une femme à Paris. Vous saurez ce que je veux dire quand vous visiterez cette ville. Ceux qui comptaient profiter de son insouciante tranquillité lui disaient : « Vous êtes bien heureux : vous avez une femme froide, qui n’aura que des passions de tête ; elle est contente de briller, ses fantaisies sont purement artistiques ; sa jalousie, ses désirs seront satisfaits si elle se fait un
Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/363
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.