Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après ces paroles dites d’un son de voix profond, elle déroula ses belles paupières pour ne pas laisser lire dans ses yeux.

— Vous n’avez rien voulu de moi, dit Calyste, je rendrais votre fortune à vos héritiers.

— Enfant ! dit Camille d’un son de voix profond en laissant couler des larmes sur ses joues. Rien ne me sauvera-t-il donc de moi-même ?

— Vous avez une histoire à me dire et une lettre à me…, dit le généreux enfant pour faire diversion à ce chagrin ; mais il n’acheva pas, elle lui coupa la parole.

— Vous avez raison, il faut être honnête fille avant tout. Il était trop tard hier, mais il paraît que nous aurons bien du temps à nous aujourd’hui, dit-elle d’un ton à la fois plaisant et amer. Pour acquitter ma promesse, je vais me mettre de manière à plonger sur le chemin qui mène à la falaise.

Calyste lui disposa dans cette direction un grand fauteuil gothique et ouvrit la croisée à vitraux. Camille Maupin, qui partageait le goût oriental de l’illustre écrivain de son sexe, alla prendre un magnifique narghilé persan que lui avait donné un ambassadeur ; elle chargea la cheminée de patchouli, nettoya le bochettino, parfuma le tuyau de plume qu’elle y adaptait, et dont elle ne se servait jamais qu’une fois, mit le feu aux feuilles jaunes, plaça le vase à long col émaillé bleu et or de ce bel instrument de plaisir à quelques pas d’elle, et sonna pour demander du thé.

— Si vous voulez des cigarettes ?… Ah ! j’oublie toujours que vous ne fumez pas. Une pureté comme la vôtre est si rare ! Il me semble que pour caresser le duvet satiné de vos joues il faut la main d’une Ève sortie des mains de Dieu.

Calyste rougit et se posa sur un tabouret, il ne vit pas la profonde émotion qui fit rougir Camille.

— La personne de qui j’ai reçu cette lettre hier, et qui sera peut-être demain ici, est la marquise de Rochegude, la belle-sœur de madame d’Ajuda-Pinto, dit Félicité. Après avoir marié sa fille aînée à un grand seigneur portugais établi pour toujours en France, le vieux Rochegude, dont la maison n’est pas aussi vieille que la vôtre, voulut apparenter son fils à la haute noblesse, afin de pouvoir lui faire avoir la pairie qu’il n’avait pu obtenir pour lui-même. La comtesse de Montcornet lui signala dans le département de l’Orne une mademoiselle Béatrix-Maximilienne-Rose de Casteran,