Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/347

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sont gracieuses. La chute des reins est magnifique, et rappelle plus le Bacchus que la Vénus Callipyge. Là se voit la nuance qui sépare de leur sexe presque toutes les femmes célèbres ; elles ont là comme une vague similitude avec l’homme, elles n’ont ni la souplesse, ni l’abandon des femmes que la nature a destinées à la maternité ; leur démarche ne se brise pas par un mouvement doux. Cette observation est comme bilatérale, elle a sa contre-partie chez les hommes dont les hanches sont presque semblables à celles des femmes quand ils sont fins, astucieux, faux et lâches. Au lieu de se creuser à la nuque, le col de Camille forme un contour renflé qui lie les épaules à la tête sans sinuosité, le caractère le plus évident de la force. Ce col présente par moments des plis d’une magnificence athlétique. L’attache des bras, d’un superbe contour, semble appartenir à une femme colossale. Les bras sont vigoureusement modelés, terminés par un poignet d’une délicatesse anglaise, par des mains mignonnes et pleines de fossettes, grasses, enjolivées d’ongles roses taillés en amandes et côtelés sur les bords, et d’un blanc qui annonce que le corps si rebondi, si ferme, si bien pris est d’un tout autre ton que le visage. L’attitude ferme et froide de cette tête est corrigée par la mobilité des lèvres, par leur changeante expression, par le mouvement artiste des narines. Mais malgré ces promesses irritantes et assez cachées aux profanes, le calme de cette physionomie a je ne sais quoi de provoquant. Cette figure, plus mélancolique, plus sérieuse que gracieuse, est frappée par la tristesse d’une méditation constante. Aussi mademoiselle des Touches écoute-t-elle plus qu’elle ne parle. Elle effraie par son silence et par ce regard profond d’une profonde fixité. Personne, parmi les gens vraiment instruits, n’a pu la voir sans penser à la vraie Cléopâtre, à cette petite brune qui faillit changer la face du monde ; mais chez Camille, l’animal est si complet, si bien ramassé, d’une nature si léonine, qu’un homme quelque peu Turc regrette l’assemblage d’un si grand esprit dans un pareil corps, et le voudrait tout femme. Chacun tremble de rencontrer les corruptions étranges d’une âme diabolique. La froideur de l’analyse, le positif de l’idée n’éclairent-ils pas les passions chez elle ? Cette fille ne juge-t-elle pas au lieu de sentir ? ou, phénomène encore plus terrible, ne sent-elle pas et ne juge-t-elle pas à la fois ? pouvant tout par son cerveau, doit-elle s’arrêter là où s’arrêtent les autres femmes ? Cette force intellectuelle laisse-t-elle le cœur faible ? A-t-elle de la grâce ? Descend-