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saisir les religieuses et mademoiselle des Touches, qui furent jetées en prison, accusées par une rumeur calomnieuse d’avoir reçu des émissaires de Pitt et Cobourg. Le 9 thermidor les délivra. La tante de Félicité mourut de frayeur. Deux des sœurs quittèrent la France, la troisième confia la petite des Touches à son plus proche parent, à monsieur de Faucombe, son grand-oncle maternel, qui habitait Nantes, et rejoignit ses compagnes en exil. Monsieur de Faucombe, vieillard de soixante ans, avait épousé une jeune femme à laquelle il laissait le gouvernement de ses affaires. Il ne s’occupait plus que d’archéologie, une passion ou, pour parler plus correctement, une de ces manies qui aident les vieillards à se croire vivants. L’éducation de sa pupille fut entièrement livrée au hasard. Peu surveillée par une jeune femme adonnée aux plaisirs de l’époque impériale, Félicité s’éleva toute seule, en garçon. Elle tenait compagnie à monsieur de Faucombe dans sa bibliothèque et y lisait tout ce qu’il lui plaisait de lire. Elle connut donc la vie en théorie, et n’eut aucune innocence d’esprit, tout en demeurant vierge. Son intelligence flotta dans les impuretés de la science, et son cœur pur. Son instruction devint surprenante, excitée par la passion de la lecture et servie par une belle mémoire. Aussi fut-elle à dix-huit ans savante comme devraient l’être, avant d’écrire, les jeunes auteurs d’aujourd’hui. Ces prodigieuses lectures continrent ses passions beaucoup mieux que la vie de couvent, où s’enflamment les imaginations des jeunes filles. Ce cerveau bourré de connaissances ni digérées ni classées dominait ce cœur enfant. Cette dépravation de l’intelligence, sans action sur la chasteté du corps, eût étonné des philosophes ou des observateurs, si quelqu’un à Nantes eût pu soupçonner la valeur de mademoiselle des Touches. Le résultat fut en sens inverse de la cause : Félicité n’avait aucune pente au mal, elle concevait tout par la pensée et s’abstenait du fait ; elle enchantait le vieux Faucombe et l’aidait dans ses travaux ; elle écrivit trois des ouvrages du bon gentilhomme, qui les crut de lui, car sa paternité spirituelle fut aveugle aussi. De si grands travaux, en désaccord avec les développements de la jeune fille, eurent leur effet : Félicité tomba malade, son sang s’était échauffé, la poitrine paraissait menacée d’inflammation. Les médecins ordonnèrent l’exercice du cheval et les distractions du monde. Mademoiselle des Touches devint une très-habile écuyère, et se rétablit en peu de mois. À dix-huit ans elle apparut dans le monde, où elle produisit une si