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— Si c’était une autre femme…

— Mais, chère Fanny, si cette femme était une sainte, elle n’accueillerait pas votre fils. La baronne reprit le journal. — J’irai la voir, moi, dit le vieillard, je vous en rendrai bon compte.

Ce mot ne peut avoir de saveur que par souvenir. Après la biographie de Camille Maupin, figurez-vous le vieux baron aux prises avec cette femme illustre ?

La ville de Guérande, qui depuis deux mois voyait Calyste, sa fleur et son orgueil, allant tous les jours, le soir ou le matin, souvent soir et matin, aux Touches, pensait que mademoiselle Félicité des Touches était passionnément éprise de ce bel enfant, et qu’elle pratiquait sur lui des sortiléges. Plus d’une jeune fille et d’une jeune femme se demandaient quels priviléges étaient ceux des vieilles femmes pour exercer sur un ange un empire si absolu. Aussi, quand Calyste traversa la Grand’Rue pour sortir par la porte du Croisic, plus d’un regard s’attacha-t-il sur lui.

Il devient maintenant nécessaire d’expliquer les rumeurs qui planaient sur le personnage que Calyste allait voir. Ces bruits, grossis par les commérages bretons, envenimés par l’ignorance publique, étaient arrivés jusqu’au curé. Le receveur des contributions, le juge de paix, le chef de la douane de Saint-Nazaire et autres gens lettrés du canton n’avaient pas rassuré l’abbé Grimont en lui racontant la vie bizarre de la femme artiste cachée sous le nom de Camille Maupin. Elle ne mangeait pas encore des petits enfants, elle ne tuait pas des esclaves comme Cléopâtre, elle ne faisait pas jeter un homme à la rivière comme on en accuse faussement l’héroïne de la Tour de Nesle ; mais pour l’abbé Grimont, cette monstrueuse créature, qui tenait de la sirène et de l’athée, formait une combinaison immorale de la femme et du philosophe, et manquait à toutes les lois sociales inventées pour contenir ou utiliser les infirmités du beau sexe.

De même que Clara Gazul est le pseudonyme femelle d’un homme d’esprit, George Sand le pseudonyme masculin d’une femme de génie, Camille Maupin fut le masque sous lequel se cacha pendant longtemps une charmante fille, très-bien née, une Bretonne, nommée Félicité des Touches, la femme qui causait de si vives inquiétudes à la baronne du Guénic et au bon curé de Guérande. Cette famille n’a rien de commun avec les des Touches de Touraine, auxquels appartient l’ambassadeur du Régent, encore