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est capable de tout : il trompe le gouvernement. Ils sont partis tous deux pour aller travailler dans les Indes et voler le Grand Mogol. La de Camps a compris qu’une femme distinguée comme elle ne doit pas convertir ses belles lèvres en gueule de bronze vénitienne. En apprenant ces tragi-comédies, beaucoup de gens refusent d’y croire ; ils prennent le parti de la nature humaine et de ses beaux sentiments, ils soutiennent que c’est des fictions. Mon cher, Talleyrand a dit ce magnifique mot : — Tout arrive ! Certes il se passe sous nos yeux des choses encore plus étonnantes que ne l’est ce complot domestique ; mais le monde a tant d’intérêt à les démentir, à se dire calomnié ; puis ces magnifiques drames se jouent si naturellement, avec un vernis de si bon goût, que souvent j’ai besoin d’éclaircir le verre de ma lorgnette pour voir le fond des choses. Mais, je te le répète, quand un homme est de mes amis, quand nous avons reçu ensemble le baptême du vin de Champagne, communié ensemble à l’autel de la Vénus Commode, quand nous nous sommes fait confirmer par les doigts crochus du Jeu, et que mon ami se trouve dans une position fausse, je briserai vingt familles pour le remettre droit. Tu dois bien voir ici que je t’aime ; ai-je jamais, à ta connaissance, écrit des lettres aussi longues que l’est celle-ci ? Lis donc avec attention ce qu’il me reste à te dire.

Hélas ! Paul, il faut bien se livrer à l’écriture, je dois m’habituer à minuter des dépêches. J’aborde la politique. Je veux avoir dans cinq ans un portefeuille de ministre ou de quelque ambassade d’où je puisse remuer les affaires publiques à ma fantaisie. Il vient un âge où la plus belle maîtresse que puisse servir un homme est sa nation. Je me mets dans les rangs de ceux qui renversent le système aussi bien que le ministère actuel. Enfin je vogue dans les eaux d’un certain prince qui n’est manchot que du pied, et que je regarde comme un politique de génie dont le nom grandira dans l’histoire ; un prince complet comme peut l’être un grand artiste. Nous sommes Ronquerolles, Montriveau, les Grandlieu, La Ruche-Hugon, Serizy, Féraud et Granville, tous alliés contre le parti-prêtre, comme dit ingénieusement le parti-niais représenté par le Constitutionnel. Nous voulons renverser les deux Vandenesse, les ducs de Lenoncourt, de Navareins, de Langeais et la Grande-Aumônerie. Pour triompher, nous irons jusqu’à nous réunir à La Fayette, aux Orléanistes, à la Gauche, gens à égorger le lendemain de la victoire, car tout gouvernement est impossible avec leurs principes. Nous