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mari n’est pas un homme comme un autre. Aussi, ne fais jamais la folie de te livrer en quoi que ce soit. Garde une constante réserve dans tes discours et dans tes actions ; tu peux même aller sans danger jusqu’à la froideur, car on peut la modifier à son gré, tandis qu’il n’y a rien au delà des expressions extrêmes de l’amour. Un mari, ma chère, est le seul homme avec lequel une femme ne peut rien se permettre. Rien n’est d’ailleurs plus facile que de garder sa dignité. Ces mots : « Votre femme ne doit pas, votre femme ne peut pas faire ou dire telle et telle chose ! » sont le grand talisman. Toute la vie d’une femme est dans : — Je ne veux pas ! — Je ne peux pas ! Je ne peux pas est l’irrésistible argument de la faiblesse qui se couche, qui pleure et séduit. Je ne veux pas, est le dernier argument. La force féminine se montre alors tout entière ; aussi doit-on ne l’employer que dans les occasions graves. Le succès est tout entier dans les manières dont une femme se sert de ces deux mots, les commente et les varie. Mais il est un moyen de domination meilleur que ceux-ci qui semblent comporter des débats. Moi, ma chère, j’ai régné par la Foi. Si ton mari croit en toi, tu peux tout. Pour lui inspirer cette religion, il faut lui persuader que tu le comprends. Et ne pense pas que ce soit chose facile : une femme peut toujours prouver à un homme qu’il est aimé, mais il est plus difficile de lui faire avouer qu’il est compris. Je dois te dire tout à toi, mon enfant, car pour toi la vie avec ses complications, la vie où deux volontés doivent s’accorder, va commencer demain ! Songes-tu bien à cette difficulté ? Le meilleur moyen d’accorder vos deux volontés est de t’arranger à ce qu’il n’y en ait qu’une seule au logis. Beaucoup de gens prétendent qu’une femme se crée des malheurs en changeant ainsi de rôle ; mais, ma chère, une femme est ainsi maîtresse de commander aux événements au lieu de les subir, et ce seul avantage compense tous les inconvénients possibles.

Natalie baisa les mains de sa mère en y laissant des larmes de reconnaissance. Comme les femmes chez lesquelles la passion physique n’échauffe point la passion morale, elle comprit tout à coup la portée de cette haute politique de femme ; mais semblable aux enfants gâtés qui ne se tiennent pas pour battus par les raisons les plus solides, et qui reproduisent obstinément leur désir, elle revint à la charge avec un de ces arguments personnels que suggère la logique droite des enfants.