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dissipèrent. Amis et ennemis ne pensèrent plus qu’à préparer leurs toilettes pour la fête indiquée. Le temps pris par ces événements passa donc sur les difficultés soulevées par la première conférence, en emportant dans l’oubli les paroles et les débats de l’orageuse discussion à laquelle avait donné lieu le contrat de mariage. Ni Paul ni sa belle-mère n’y songeaient plus. N’était-ce pas, comme l’avait dit madame Évangélista, l’affaire des deux notaires ? Mais à qui n’est-il pas arrivé, quand la vie est d’un cours si rapide, d’être soudainement interpellé par la voix d’un souvenir qui se dresse souvent trop tard, et vous rappelle un fait important, un danger prochain ? Dans la matinée du jour où devait se signer le contrat de Paul et de Natalie, un de ces feux follets de l’âme brilla chez madame Évangélista pendant les somnolescences de son réveil. Cette phrase : Questa coda non è di questo gatto ! dite par elle à l’instant où Mathias accédait aux conditions de Solonet, lui fut criée par une voix. Malgré son inaptitude aux affaires, madame Évangélista se dit en elle-même : — Si l’habile maître Mathias s’est apaisé, sans doute il trouvait satisfaction aux dépens de l’un des deux époux. L’intérêt lésé ne devait pas être celui de Paul, comme elle l’avait espéré. Serait-ce donc la fortune de sa fille qui payait les frais de la guerre ? Elle se proposa de demander des explications sur la teneur du contrat, sans penser à ce qu’elle devait faire au cas où ses intérêts seraient trop gravement compromis. Cette journée influa tellement sur la vie conjugale de Paul, qu’il est nécessaire d’expliquer quelques-unes de ces circonstances extérieures qui déterminent tous les esprits. L’hôtel Évangélista devant être vendu, la belle-mère du comte de Manerville n’avait reculé devant aucune dépense pour la fête. La cour était sablée, couverte d’une tente à la turque et parée d’arbustes malgré l’hiver. Ces camélias, dont il était parlé depuis Angoulême jusqu’à Dax, tapissaient les escaliers et les vestibules. Des pans de murs avaient disparu pour agrandir la salle du festin et celle où l’on dansait. Bordeaux, où brille le luxe de tant de fortunes coloniales, était dans l’attente des féeries annoncées. Vers huit heures, au moment de la dernière discussion, les gens curieux de voir les femmes en toilette descendant de voiture se rassemblèrent en deux haies de chaque côté de la porte cochère. Ainsi la somptueuse atmosphère d’une fête agissait sur les esprits au moment de signer le contrat. Lors de la crise, les lampions allumés flambaient sur leurs ifs, et le roulement des premières voitures retentissait dans la cour.