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sieur de Manerville à Lanstrac, ces fêtes aux jeunes gens en semblables circonstances…

— Hé ! ma chère, dit la grande dame en l’interrompant, croyez-vous que nous adoptions les petitesses du cérémonial bourgeois ? Le comte Paul est-il tenu en laisse comme un homme qui peut s’enfuir ? Croyez-vous que nous ayons besoin de le faire garder par la gendarmerie ? Craignons-nous de nous le voir enlever par quelque conspiration bordelaise ?

— Soyez persuadée, chère amie, que vous me faites un plaisir extrême…

La parole fut coupée à la marquise par le valet de chambre, qui annonça Paul. Comme tous les amoureux, Paul avait trouvé charmant de faire quatre lieues pour venir passer une heure avec Natalie. Il avait laissé ses amis à la chasse, et il arrivait éperonné, botté, cravache en main.

— Cher Paul, dit Natalie, vous ne savez pas quelle réponse vous donnez en ce moment à madame.

Quand Paul apprit les calomnies qui couraient dans Bordeaux, il se mit à rire au lieu de se mettre en colère.

— Ces braves gens savent peut-être qu’il n’y aura pas de ces nopces et festins en usage dans les provinces, ni mariage à midi dans l’église ; ils sont furieux. Eh ! bien, chère mère, dit-il en baisant la main de madame Évangélista, nous leur jetterons à la tête un bal, le jour de la signature du contrat, comme on jette au peuple sa fête dans le grand carré des Champs-Élysées, et nous procurerons à nos bons amis le douloureux plaisir de signer un contrat comme il s’en fait rarement en province.

Cet incident fut d’une haute importance. Madame Évangélista pria tout Bordeaux pour le jour de la signature du contrat, et manifesta l’intention de déployer dans sa dernière fête un luxe qui donnât d’éclatants démentis aux sots mensonges de la société. Ce fut un engagement solennel pris à la face du public de marier Paul et Natalie. Les préparatifs de cette fête durèrent quarante jours, elle fut nommée la nuit des camélias. Il y eut une immense quantité de ces fleurs dans l’escalier, dans l’antichambre et dans la salle où l’on servit le souper. Ce délai coïncida naturellement avec ceux qu’exigeaient les formalités préliminaires du mariage, et les démarches faites à Paris pour l’érection du majorat. L’achat des terres qui jouxtaient Lanstrac eut lieu, les bans se publièrent, les doutes se