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son livre favori ; puis elle retrouva une sorte d’agilité pour arriver sur son perron au moment où les deux époux en montaient les marches.

La tante et la nièce se jetèrent un rapide coup d’œil.

— Bonjour, ma chère tante, s’écria le colonel en saisissant la vieille femme et l’embrassant avec précipitation. Je vous amène une jeune personne à garder. Je viens vous confier mon trésor. Ma Julie n’est ni coquette ni jalouse ; elle a une douceur d’ange… Mais elle ne se gâtera pas ici, j’espère, dit-il en s’interrompant.

— Mauvais sujet ! répondit la comtesse en lui lançant un regard moqueur.

Elle s’offrit, la première, avec une certaine grâce aimable, à embrasser Julie qui restait pensive et paraissait plus embarrassée que curieuse.

— Nous allons donc faire connaissance, mon cher cœur ? reprit la comtesse. Ne vous effrayez pas trop de moi, je tâche de n’être jamais vieille avec les jeunes gens.

Avant d’arriver au salon, la marquise avait déjà, suivant l’habitude des provinces, commandé à déjeuner pour ses deux hôtes ; mais le comte arrêta l’éloquence de sa tante en lui disant d’un ton sérieux qu’il ne pouvait pas lui donner plus de temps que la poste n’en mettrait à relayer. Les trois parents entrèrent donc au plus vite dans le salon et le colonel eut à peine le temps de raconter à sa grand’tante les événements politiques et militaires qui l’obligeaient à lui demander un asile pour sa jeune femme. Pendant ce récit, la tante regardait alternativement et son neveu qui parlait sans être interrompu, et sa nièce dont la pâleur et la tristesse lui parurent causées par cette séparation forcée. Elle avait l’air de se dire : — Hé ! hé ! ces jeunes gens-là s’aiment.

En ce moment, des claquements de fouet retentirent dans la vieille cour silencieuse dont les pavés étaient dessinés par des bouquets d’herbes. Victor embrassa derechef la comtesse, et s’élança hors du logis.

— Adieu, ma chère, dit-il en embrassant sa femme qui l’avait suivi jusqu’à la voiture.

— Oh ! Victor, laisse-moi t’accompagner plus loin encore, dit-elle d’une voix caressante, je ne voudrais pas te quitter…

— Y penses-tu ?

— Eh ! bien, répliqua Julie, adieu, puisque tu le veux.