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compte de tutelle entendu, un apport de onze cent cinquante six mille francs, en n’en recevant que un million cinquante mille ! Vous écoutez de pareilles sornettes avec le ravissement d’un amoureux, et vous croyez que maître Mathias, qui n’est pas amoureux, peut oublier l’arithmétique et ne signalera pas la différence qui existe entre les placements territoriaux dont le capital est énorme, qui va croissant, et les revenus de la dot dont le capital est sujet à des chances et à des diminutions d’intérêt. Je suis assez vieux pour avoir vu l’argent décroître et les terres augmenter. Vous m’avez appelé, monsieur le comte, pour stipuler vos intérêts : laissez-moi les défendre, ou renvoyez-moi.

— Si monsieur cherche une fortune égale en capital à la sienne, dit Solonet, nous n’avons pas trois millions et demi, rien n’est plus évident. Si vous possédez trois accablants millions, nous ne pouvons offrir que notre pauvre petit million, presque rien ! trois fois la dot d’une archiduchesse de la maison d’Autriche. Bonaparte a reçu deux cent cinquante mille francs en épousant Marie-Louise.

— Marie-Louise a perdu Bonaparte, dit maître Mathias en grommelant.

La mère de Natalie saisit le sens de cette phrase.

— Si mes sacrifices ne servent à rien, s’écria-t-elle, je n’entends pas pousser plus loin une discussion semblable, je compte sur la discrétion de monsieur, et renonce à l’honneur de sa main pour ma fille.

Après les évolutions que le jeune notaire avait prescrites, cette bataille d’intérêts était arrivée au terme où la victoire devait appartenir à madame Évangélista. La belle-mère s’ouvrait le cœur, livrait ses biens, était quasi libérée. Sous peine de manquer aux lois de la générosité, de mentir à l’amour, le futur époux devait accepter ces conditions résolues par avance entre maître Solonet et madame Évangélista. Comme une aiguille d’horloge mue par ses rouages, Paul arriva fidèlement au but.

— Comment, madame, s’écria Paul, en un moment vous pourriez briser…

— Mais, monsieur, répondit-elle, à qui dois-je ? à ma fille. Quand elle aura vingt et un ans, elle recevra mes comptes et me donnera quittance. Elle possédera un million, et pourra, si elle veut, choisir parmi les fils de tous les pairs de France. N’est-elle pas une Casa-Réal ?

— Madame a raison. Pourquoi serait-elle plus maltraitée aujour-