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fille comme Natalie ? Le trésor qu’elle avait conservé ne valait-il pas une quittance ? Beaucoup d’hommes n’achètent-ils pas une femme aimée par mille sacrifices ? Pourquoi ferait-on moins pour une femme légitime que pour une courtisane ? D’ailleurs Paul était un homme nul, incapable ; elle déploierait pour lui les ressources de son esprit, elle lui ferait faire un beau chemin dans le monde ; il lui serait redevable du pouvoir ; n’acquitterait-elle pas bien un jour sa dette ? Ce serait un sot d’hésiter ! Hésiter pour quelques écus de plus ou de moins ?… il serait infâme.

— Si le succès ne se décide pas tout d’abord, se dit-elle, je quitterai Bordeaux, et pourrai toujours faire un beau sort à Natalie en capitalisant ce qui me reste, hôtel, diamants, mobilier, en lui donnant tout et ne me réservant qu’une pension.

Quand un esprit fortement trempé se construit une retraite comme Richelieu à Brouage, et se dessine une fin grandiose, il s’en fait comme un point d’appui qui l’aide à triompher. Ce dénoûment, en cas de malheur, rassura madame Évangélista, qui s’endormit d’ailleurs pleine de confiance en son parrain dans ce duel. Elle comptait beaucoup sur le concours du plus habile notaire de Bordeaux, monsieur Solonet, jeune homme de vingt-sept ans, décoré de la Légion-d’Honneur pour avoir contribué fort activement à la seconde rentrée des Bourbons. Heureux et fier d’être reçu dans la maison de madame Évangélista, moins comme notaire que comme appartenant à la société royaliste de Bordeaux, Solonet avait conçu pour ce beau coucher de soleil une de ces passions que les femmes comme madame Évangélista repoussent, mais dont elles sont flattées, et que les plus prudes d’entre elles laissent à fleur d’eau. Solonet demeurait dans une vaniteuse attitude pleine de respect et d’espérance très convenable. Ce notaire vint le lendemain avec l’empressement de l’esclave, et fut reçu dans la chambre à coucher par la coquette veuve, qui se montra dans le désordre d’un savant déshabillé.

— Puis-je, lui dit-elle, compter sur votre discrétion et votre entier dévouement dans la discussion qui aura lieu ce soir ? Vous devinez qu’il s’agit du contrat de mariage de ma fille.

Le jeune homme se perdit en protestations galantes.

— Au fait, dit-elle.

— J’écoute, répondit-il en paraissant se recueillir.

Madame Évangélista lui exposa crûment sa situation.