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livre sur les mariages modernes, sur l’influence du système chrétien ; enfin, je mettrais un lampion sur ce tas de pierres aiguës parmi lesquelles se couchent les sectateurs du multiplicamini social. Mais, l’Humanité vaut-elle un quart d’heure de mon temps ? Puis, le seul emploi raisonnable de l’encre n’est-il pas de piper les cœurs par des lettres d’amour ? Eh ! nous amèneras-tu la comtesse de Manerville ?

— Peut-être, dit Paul.

— Nous resterons amis, dit de Marsay.

— Si ?… répondit Paul.

— Sois tranquille, nous serons polis avec toi, comme la Maison-Rouge avec les Anglais à Fontenoy.

Quoique cette conversation l’eût ébranlé, le comte de Manerville se mit en devoir d’exécuter son dessein, et revint à Bordeaux pendant l’hiver de l’année 1821. Les dépenses qu’il fit pour restaurer et meubler son hôtel soutinrent dignement la réputation d’élégance qui le précédait. Introduit d’avance par ses anciennes relations dans la société royaliste de Bordeaux, à laquelle il appartenait par ses opinions autant que par son nom et par sa fortune, il y obtint la royauté fashionable. Son savoir-vivre, ses manières, son éducation parisienne enchantèrent le faubourg Saint-Germain bordelais. Une vieille marquise se servit d’une expression jadis en usage à la Cour pour désigner la florissante jeunesse des Beaux, des Petits-Maîtres d’autrefois, et dont le langage, les façons faisaient loi : elle dit de lui qu’il était la fleur des pois. La société libérale ramassa le mot, en fit un surnom pris par elle en moquerie, et par les royalistes en bonne part. Paul de Manerville acquitta glorieusement les obligations que lui imposait son surnom. Il lui advint ce qui arrive aux acteurs médiocres : le jour où le public leur accorde son attention, ils deviennent presque bons. En se sentant à son aise, Paul déploya les qualités que comportaient ses défauts. Sa raillerie n’avait rien d’âpre ni d’amer, ses manières n’étaient point hautaines, sa conversation avec les femmes exprimait le respect qu’elles aiment, ni trop de déférence ni trop de familiarité ; sa fatuité n’était qu’un soin de sa personne qui le rendait agréable, il avait égard au rang, il permettait aux jeunes gens un laisser-aller auquel son expérience parisienne posait des bornes ; quoique très-fort au pistolet et à l’épée, il avait une douceur féminine dont on lui savait gré. Sa taille moyenne et son embonpoint qui n’arrivait pas encore à l’obésité, deux obstacles à