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— Madame de Saint-Héreen, disait une fille à marier, a pour sa mère des soirées délicieuses, un salon où va tout Paris.

— Un salon où personne ne fait attention à la marquise, répondait le parasite.

— Le fait est que madame d’Aiglemont n’est jamais seule, disait un fat en appuyant le parti des jeunes dames.

— Le matin, répondait le vieil observateur à voix basse, le matin, la chère Moïna dort. À quatre heures, la chère Moïna est au bois. Le soir, la chère Moïna va au bal ou aux Bouffes… Mais il est vrai que madame d’Aiglemont a la ressource de voir sa chère fille pendant qu’elle s’habille, ou durant le dîner lorsque la chère Moïna dîne par hasard avec sa chère mère. — Il n’y a pas encore huit jours, monsieur, dit le parasite en prenant par le bras un timide précepteur, nouveau-venu dans la maison où il se trouvait, que je vis cette pauvre mère triste et seule au coin de son feu. — Qu’avez-vous ? lui demandai-je. La marquise me regarda en souriant, mais elle avait certes pleuré. — Je pensais, me disait-elle, qu’il est bien singulier de me trouver seule, après avoir eu cinq enfants ; mais cela est dans notre destinée ! Et puis, je suis heureuse quand je sais que Moïna s’amuse ! Elle pouvait se confier à moi, qui, jadis, ai connu son mari. C’était un pauvre homme, et il a été bien heureux de l’avoir pour femme ; il lui devait certes sa pairie et sa charge à la cour de Charles X.

Mais il se glisse tant d’erreurs dans les conversations du monde, il s’y fait avec légèreté des maux si profonds, que l’historien des mœurs est obligé de sagement peser les assertions insouciamment émises par tant d’insouciants. Enfin, peut-être ne doit-on jamais prononcer qui a tort ou raison de l’enfant ou de la mère. Entre ces deux cœurs, il n’y a qu’un seul juge possible. Ce juge est Dieu ! Dieu qui, souvent, assied sa vengeance au sein des familles, et se sert éternellement des enfants contre les mères, des pères contre les fils, des peuples contre les rois, des princes contre les nations, de tout contre tout ; remplaçant dans le monde moral les sentiments par les sentiments, comme les jeunes feuilles poussent les vieilles au printemps ; agissant en vue d’un ordre immuable, d’un but à lui seul connu. Sans doute, chaque chose va dans son sein, ou, mieux encore, elle y retourne.

Ces religieuses pensées, si naturelles au cœur des vieillards, flottaient éparses dans l’âme de madame d’Aiglemont ; elles y étaient à