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bonheur, et faisant pâlir tous les trésors qui l’entouraient devant les trésors de son âme, les éclairs de ses yeux et l’indescriptible poésie exprimée dans sa personne et autour d’elle. Cette situation offrait une étrangeté qui le surprenait, une sublimité de passion et de raisonnement qui confondait les idées vulgaires. Les froides et étroites combinaisons de la société mouraient devant ce tableau. Le vieux militaire sentit toutes ces choses, et comprit aussi que sa fille n’abandonnerait jamais une vie si large, si féconde en contrastes, remplie par un amour si vrai ; puis, si elle avait une fois goûté le péril sans en être effrayée, elle ne pouvait plus revenir aux petites scènes d’un monde mesquin et borné.

— Vous gêné-je ? demanda le corsaire en rompant le silence et regardant sa femme.

— Non, lui répondit le général. Hélène m’a tout dit. Je vois qu’elle est perdue pour nous…

— Non, répliqua vivement le corsaire… Encore quelques années, et la prescription me permettra de revenir en France. Quand la conscience est pure, et qu’en froissant vos lois sociales un homme a obéi…

Il se tut, en dédaignant de se justifier.

— Et comment pouvez-vous, dit le général en l’interrompant, ne pas avoir des remords pour les nouveaux assassinats qui se sont commis devant mes yeux ?

— Nous n’avons pas de vivres, répliqua tranquillement le corsaire.

— Mais en débarquant ces hommes sur la côte…

— Ils nous feraient couper la retraite par quelque vaisseau, et nous n’arriverions pas au Chili.

— Avant que, de France, dit le général en interrompant, ils aient prévenu l’amirauté d’Espagne…

— Mais la France peut trouver mauvais qu’un homme, encore sujet de ses cours d’assises, se soit emparé d’un brick frété par des Bordelais. D’ailleurs n’avez-vous pas quelquefois tiré, sur le champ de bataille, plusieurs coups de canon de trop ?

Le général, intimidé par le regard du corsaire, se tut ; et sa fille le regarda d’un air qui exprimait autant de triomphe que de mélancolie…

— Général, dit le corsaire d’une voix profonde, je me suis fait une loi de ne jamais rien distraire du butin. Mais il est hors de