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Le général n’osa pas contempler sa fille. En ce moment l’étranger s’avança, et jetant sur Hélène un sourire où il y avait à la fois quelque chose d’infernal et de céleste : — Vous qu’un meurtrier n’épouvante pas, ange de miséricorde, dit-il, venez, puisque vous persistez à me confier votre destinée.

— Inconcevable ! s’écria le père.

La marquise lança sur sa fille un regard extraordinaire, et lui ouvrit ses bras. Hélène s’y précipita en pleurant.

— Adieu, dit-elle, adieu, ma mère !

Hélène fit hardiment un signe à l’étranger, qui tressaillit. Après avoir baisé la main de son père, embrassé précipitamment, mais sans plaisir, Moïna et le petit Abel, elle disparut avec le meurtrier.

— Par où vont-ils ? s’écria le général en écoutant les pas des deux fugitifs. — Madame, reprit-il en s’adressant à sa femme, je crois rêver : cette aventure me cache un mystère. Vous devez le savoir.

La marquise frissonna.

— Depuis quelque temps, répondit-elle, votre fille était devenue extraordinairement romanesque et singulièrement exaltée. Malgré mes soins à combattre cette tendance de son caractère…

— Cela n’est pas clair…

Mais, s’imaginant entendre dans le jardin les pas de sa fille et de l’étranger, le général s’interrompit pour ouvrir précipitamment la croisée.

— Hélène ! cria-t-il.

Cette voix se perdit dans la nuit comme une vaine prophétie. En prononçant ce nom, auquel rien ne répondait plus dans le monde, le général rompit, comme par enchantement, le charme auquel une puissance diabolique l’avait soumis. Une sorte d’esprit lui passa sur la face. Il vit clairement la scène qui venait de se passer, et maudit sa faiblesse qu’il ne comprenait pas. Un frisson chaud alla de son cœur à sa tête, à ses pieds ; il redevint lui-même, terrible, affamé de vengeance, et poussa un effroyable cri.

— Au secours ! au secours !…

Il courut aux cordons des sonnettes, les tira de manière à les briser, après avoir fait retentir des tintements étranges. Tous ses gens s’éveillèrent en sursaut. Pour lui, criant toujours, il ouvrit les fenêtres de la rue, appela les gendarmes, trouva ses pistolets, les tira pour accélérer la marche des cavaliers, le lever de ses gens et