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d’une mère, se brise pour procurer un plaisir à son enfant. Sa joie est si profonde qu’elle lui ferme les yeux et qu’elle jette ses reflets jusque sur moi. Je le trompe par le sourire ou par le regard pleins de satisfaction que me cause la certitude de lui donner le bonheur. Aussi, le nom d’amitié dont je me sers pour lui dans notre intérieur est-il : « mon enfant ! » J’attends le fruit de tant de sacrifices qui seront un secret entre Dieu, toi et moi. La maternité est une entreprise à laquelle j’ai ouvert un crédit énorme, elle me doit trop aujourd’hui, je crains de n’être pas assez payée : elle est chargée de déployer mon énergie et d’agrandir mon cœur, de me dédommager par des joies illimitées. Oh ! mon Dieu, que je ne sois pas trompée ! là est tout mon avenir, et, chose effrayante à penser, celui de ma vertu.




XXI

LOUISE DE CHAULIEU À RENÉE DE L’ESTORADE.


Juin.

Chère biche mariée, ta lettre est venue à propos pour me justifier à moi-même une hardiesse à laquelle je pensais nuit et jour. Il y a je ne sais quel appétit en moi pour les choses inconnues ou, si tu veux, défendues, qui m’inquiète et m’annonce au dedans de moi-même un combat entre les lois du monde et celles de la nature. Je ne sais pas si la nature est chez moi plus forte que la société, mais je me surprends à conclure des transactions entre ces puissances. Enfin, pour parler clairement, je voulais causer avec Felipe, seule avec lui, pendant une heure de nuit, sous les tilleuls, au bout de notre jardin. Assurément, ce vouloir est d’une fille qui mérite le nom de commère éveillée que me donne la duchesse en riant et que mon père me confirme. Néanmoins, je trouve cette faute prudente et sage. Tout en récompensant tant de nuits passées au pied de mon mur, je veux savoir ce que pensera mons Felipe de mon escapade, et le juger dans un pareil moment ; en faire mon cher époux, s’il divinise ma faute ; ou ne le revoir