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par hasard, devenue heureuse ? N’aurais-tu plus ce libre arbitre qui te rendait si fière et qui ce soir a failli m’abandonner ?




XX

RENÉE DE L’ESTORADE À LOUISE DE CHAULIEU.


Mai.

Si l’amour est la vie du monde, pourquoi d’austères philosophes le suppriment-ils dans le mariage ? Pourquoi la Société prend-elle pour loi suprême de sacrifier la Femme à la Famille en créant ainsi nécessairement une lutte sourde au sein du mariage ? lutte prévue par elle et si dangereuse qu’elle a inventé des pouvoirs pour en armer l’homme contre nous, en devinant que nous pouvions tout annuler soit par la puissance de la tendresse, soit par la persistance d’une haine cachée. Je vois en ce moment, dans le mariage, deux forces opposées que le législateur aurait dû réunir ; quand se réuniront-elles ? voilà ce que je me dis en te lisant. Oh ! chère, une seule de tes lettres ruine cet édifice bâti par le grand écrivain de l’Aveyron, et où je m’étais logée avec une douce satisfaction. Les lois ont été faites par des vieillards, les femmes s’en aperçoivent ; ils ont bien sagement décrété que l’amour conjugal exempt de passion ne nous avilissait point, et qu’une femme devait se donner sans amour une fois que la loi permettait à un homme de la faire sienne. Préoccupés de la famille, ils ont imité la nature, inquiète seulement de perpétuer l’espèce. J’étais un être auparavant, et je suis maintenant une chose ! Il est plus d’une larme que j’ai dévorée au loin, seule, et que j’aurais voulu donner en échange d’un sourire consolateur. D’où vient l’inégalité de nos destinées ? L’amour permis agrandit ton âme. Pour toi, la vertu se trouvera dans le plaisir. Tu ne souffriras que de ton propre vouloir. Ton devoir, si tu épouses ton Felipe, deviendra le plus doux, le plus expansif des sentiments. Notre avenir est gros de la réponse, et je l’attends avec une inquiète curiosité.

Tu aimes, tu es adorée. Oh ! chère, livre-toi tout entière à ce