Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avons plus d’Italiens dans un mois. Que devenir sans cette adorable musique, quand on a le cœur plein d’amour ?

Ma chère, au retour, avec une résolution digne d’une Chaulieu, j’ai ouvert ma fenêtre pour admirer une averse. Oh ! si les hommes connaissaient la puissance de séduction qu’exercent sur nous les actions héroïques, ils seraient bien grands ; les plus lâches deviendraient des héros. Ce que j’avais appris de mon Espagnol me donnait la fièvre. J’étais sûre qu’il était là, prêt à me jeter une nouvelle lettre. Aussi n’ai-je rien brûlé : j’ai lu. Voici donc la première lettre d’amour que j’ai reçue, madame la raisonneuse : chacune la nôtre.


« Louise, je ne vous aime pas à cause de votre sublime beauté ; je ne vous aime pas à cause de votre esprit si étendu, de la noblesse de vos sentiments, de la grâce infinie que vous donnez à toutes choses, ni à cause de votre fierté, de votre royal dédain pour ce qui n’est pas de votre sphère, et qui chez vous n’exclut point la bonté, car vous avez la charité des anges ; Louise, je vous aime parce que vous avez fait fléchir toutes ces grandeurs altières pour un pauvre exilé ; parce que, par un geste, par un regard, vous avez consolé un homme d’être si fort au-dessous de vous, qu’il n’avait droit qu’à votre pitié, mais à une pitié généreuse. Vous êtes la seule femme au monde qui aura tempéré pour moi la rigueur de ses yeux ; et comme vous avez laissé tomber sur moi ce bienfaisant regard, alors que j’étais un grain dans la poussière, ce que je n’avais jamais obtenu quand j’avais tout ce qu’un sujet peut avoir de puissance, je tiens à vous faire savoir, Louise, que vous m’êtes devenue chère, que je vous aime pour vous-même et sans aucune arrière-pensée, en dépassant de beaucoup les conditions mises par vous à un amour parfait. Apprenez donc, idole placée par moi au plus haut des cieux, qu’il est dans le monde un rejeton de la race sarrasine dont la vie vous appartient, à qui vous pouvez tout demander comme à un esclave, et qui s’honorera d’exécuter vos ordres. Je me suis donné à vous sans retour, et pour le seul plaisir de me donner, pour un seul de vos regards, pour cette main tendue un matin à votre maître d’espagnol. Vous avez un serviteur, Louise, et pas autre chose. Non, je n’ose penser que je puisse être jamais aimé ; mais peut-être serai-je souffert, et seulement à cause de mon