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pas prolonger l’illusion et perpétuer les jouissances d’amour-propre auxquelles tiennent tant et avec tant de raison toutes les créatures ? L’amour conjugal, comme je le conçois, revêt alors une femme d’espérance, la rend souveraine, et lui donne une force inépuisable, une chaleur de vie qui fait tout fleurir autour d’elle. Plus elle est maîtresse d’elle-même, plus sûre elle est de rendre l’amour et le bonheur viables. Mais j’ai surtout exigé que le plus profond mystère voilât nos arrangements intérieurs. L’homme subjugué par sa femme est justement couvert de ridicule. L’influence d’une femme doit être entièrement secrète : chez nous, en tout, la grâce, c’est le mystère. Si j’entreprends de relever ce caractère abattu, de restituer leur lustre à des qualités que j’ai entrevues, je veux que tout semble spontané chez Louis. Telle est la tâche assez belle que je me suis donnée et qui suffit à la gloire d’une femme. Je suis presque fière d’avoir un secret pour intéresser ma vie, un plan auquel je rapporterai mes efforts, et qui ne sera connu que de toi et de Dieu.

Maintenant je suis presque heureuse, et peut-être ne le serais-je pas entièrement si je ne pouvais le dire à une âme aimée, car le moyen de le lui dire à lui ? Mon bonheur le froisserait, il a fallu le lui cacher. Il a, ma chère, une délicatesse de femme, comme tous les hommes qui ont beaucoup souffert. Pendant trois mois nous sommes restés comme nous étions avant le mariage. J’étudiai, comme bien tu penses, une foule de petites questions personnelles, auxquelles l’amour tient beaucoup plus qu’on ne le croit. Malgré ma froideur, cette âme enhardie s’est dépliée : j’ai vu ce visage changer d’expression et se rajeunir. L’élégance que j’introduisais dans la maison a jeté des reflets sur sa personne. Insensiblement je me suis habituée à lui, j’en ai fait un autre moi-même. À force de le voir, j’ai découvert la correspondance de son âme et de sa physionomie. La bête que nous nommons un mari, selon ton expression, a disparu. J’ai vu, par je ne sais quelle douce soirée, un amant dont les paroles m’allaient à l’âme, et sur le bras duquel je m’appuyais avec un plaisir indicible. Enfin, pour être vraie avec toi, comme je le serais avec Dieu, qu’on ne peut pas tromper, piquée peut-être par l’admirable religion avec laquelle il tenait son serment, la curiosité s’est levée dans mon cœur. Très honteuse de moi-même, je me résistais. Hélas ! quand on ne résiste plus que par dignité, l’esprit a bientôt trouvé des transactions. La fête a donc