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et je vous le sacrifie aussitôt. Ainsi, je ne vous défends pas de passionner cette amitié, de la troubler par la voix de l’amour ; je tâcherai, moi, que notre affection soit parfaite. Surtout, évitez-moi les ennuis que la situation assez bizarre où nous serons alors me donnerait au dehors. Je ne veux paraître ni capricieuse, ni prude, parce que je ne le suis point, et vous crois assez honnête homme pour vous offrir de garder les apparences du mariage. Ma chère, je n’ai jamais vu d’homme heureux comme Louis l’a été de ma proposition ; ses yeux brillaient, le feu du bonheur y avait séché les larmes. — Songez, lui dis-je en terminant, qu’il n’y a rien de bizarre dans ce que je vous demande. Cette condition tient à mon immense désir d’avoir votre estime. Si vous ne me deviez qu’au mariage, me sauriez-vous beaucoup de gré un jour d’avoir vu votre amour couronné par les formalités légales ou religieuses et non par moi ? Si pendant que vous ne me plaisez point, mais en vous obéissant passivement, comme ma très honorée mère vient de me le recommander, j’avais un enfant, croyez-vous que j’aimerais cet enfant autant que celui qui serait fils d’un même vouloir ? S’il n’est pas indispensable de se plaire l’un à l’autre autant que se plaisent des amants, convenez, monsieur, qu’il est nécessaire de ne pas se déplaire. Eh ! bien, nous allons être placés dans une situation dangereuse : nous devons vivre à la campagne, ne faut-il pas songer à toute l’instabilité des passions ? Des gens sages ne peuvent-ils pas se prémunir contre les malheurs du changement ? Il fut étrangement surpris de me trouver et si raisonnable et si raisonneuse ; mais il me fit une promesse solennelle après laquelle je lui pris la main et la lui serrai affectueusement.

Nous fûmes mariés à la fin de la semaine. Sûre de garder ma liberté, je mis alors beaucoup de gaieté dans les insipides détails de toutes les cérémonies : j’ai pu être moi-même, et peut-être ai-je passé pour une commère très délurée, pour employer les mots de Blois. On a pris pour une maîtresse femme, une jeune fille charmée de la situation neuve et pleine de ressources où j’avais su me placer. Chère, j’avais aperçu, comme par une vision, toutes les difficultés de ma vie, et je voulais sincèrement faire le bonheur de cet homme. Or, dans la solitude où nous vivons, si une femme ne commande pas, le mariage devient insupportable en peu de temps. Une femme doit alors avoir les charmes d’une maîtresse et les qualités d’une épouse. Mettre de l’incertitude dans les plaisirs, n’est-ce