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monsieur le comte, que dois-je faire ? — Vous feindrez d’aller chez l’avoué, et vous reviendrez dire à monsieur que son homme d’affaires est allé à quarante lieues d’ici pour un procès important. Vous ajouterez qu’on l’attend à la fin de la semaine. — Les malades s’abusent toujours sur leur sort, pensa la comtesse, et il attendra le retour de cet homme. Le médecin avait déclaré la veille qu’il était difficile que le comte passât la journée. Quand deux heures après, le valet de chambre vint faire à son maître cette réponse désespérante, le moribond parut très agité. — Mon Dieu ! mon Dieu ! répéta-t-il à plusieurs reprises, je n’ai confiance qu’en vous. Il regarda son fils pendant longtemps, et lui dit enfin d’une voix affaiblie : — Ernest, mon enfant, tu es bien jeune ; mais tu as bon cœur et tu comprends sans doute la sainteté d’une promesse faite à un mourant, à un père. Te sens-tu capable de garder un secret, de l’ensevelir en toi-même de manière à ce que ta mère elle-même ne s’en doute pas ? Aujourd’hui, mon fils, il ne reste que toi dans cette maison à qui je puisse me fier. Tu ne trahiras pas ma confiance ? — Non, mon père. — Eh ! bien, Ernest, je te remettrai, dans quelques moments, un paquet cacheté qui appartient à monsieur Derville, tu le conserveras de manière à ce que personne ne sache que tu le possèdes, tu t’échapperas de l’hôtel et tu le jetteras à la petite poste qui est au bout de la rue. — Oui, mon père. — Je puis compter sur toi ? — Oui, mon père. — Viens m’embrasser. Tu me rends ainsi la mort moins amère, mon cher enfant. Dans six ou sept années, tu comprendras l’importance de ce secret, et alors, tu seras bien récompensé de ton adresse et de ta fidélité, alors tu sauras combien je t’aime. Laisse-moi seul un moment et empêche qui que ce soit d’entrer ici. Ernest sortit, et vit sa mère debout dans le salon. — Ernest, lui dit-t-elle, viens ici. Elle s’assit en prenant son fils entre ses deux genoux, et le pressant avec force sur son cœur, elle l’embrassa. — Ernest, ton père vient de te parler. — Oui, maman. — Que t’a-t-il dit ? — Je ne puis pas le répéter, maman. — Oh ! mon cher enfant, s’écria la comtesse en l’embrassant avec enthousiasme, combien de plaisir me fait ta discrétion ! Ne jamais mentir et rester fidèle à sa parole, sont deux principes qu’il ne faut jamais oublier. — Oh ! que tu es belle, maman ! Tu n’as jamais menti, toi ! j’en suis bien sûr. — Quelquefois, mon cher Ernest, j’ai menti. Oui, j’ai manqué à ma parole en des circonstances devant lesquelles cèdent toutes les lois. Écoute