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chez son père, il subissait un interrogatoire inquisitorial sur tout ce que le comte avait fait et dit. L’enfant se prêtait complaisamment aux désirs de sa mère qu’il attribuait à un tendre sentiment, et il allait au-devant de toutes les questions. Ma visite fut un trait de lumière pour la comtesse qui voulut voir en moi le ministre des vengeances du comte, et résolut de ne pas me laisser approcher du moribond. Mû par un pressentiment sinistre, je désirais vivement me procurer un entretien avec monsieur de Restaud, car je n’étais pas sans inquiétude sur la destinée des contre-lettres ; si elles tombaient entre les mains de la comtesse, elle pouvait les faire valoir, et il se serait élevé des procès interminables entre elle et Gobseck. Je connaissais assez l’usurier pour savoir qu’il ne restituerait jamais les biens à la comtesse, et il y avait de nombreux éléments de chicane dans la contexture de ces titres dont l’action ne pouvait être exercée que par moi. Je voulus prévenir tant de malheurs, et j’allai chez la comtesse une seconde fois.

— J’ai remarqué, madame, dit Derville à la vicomtesse de Grandlieu en prenant le ton d’une confidence, qu’il existe certains phénomènes moraux auxquels nous ne faisons pas assez attention dans le monde. Naturellement observateur, j’ai porté dans les affaires d’intérêt que je traite et où les passions sont si vivement mises en jeu, un esprit d’analyse involontaire. Or, j’ai toujours admiré avec une surprise nouvelle que les intentions secrètes et les idées que portent en eux deux adversaires, sont presque toujours réciproquement devinées. Il se rencontre parfois entre deux ennemis la même lucidité de raison, la même puissance de vue intellectuelle qu’entre deux amants qui lisent dans l’âme l’un de l’autre. Ainsi, quand nous fûmes tous deux en présence, la comtesse et moi, je compris tout à coup la cause de l’antipathie qu’elle avait pour moi, quoiqu’elle déguisât ses sentiments sous les formes les plus gracieuses de la politesse et de l’aménité. J’étais un confident imposé, et il est impossible qu’une femme ne haïsse pas un homme devant qui elle est obligée de rougir. Quant à elle, elle devina que si j’étais l’homme en qui son mari plaçait sa confiance, il ne m’avait pas encore remis sa fortune. Notre conversation, dont je vous fais grâce, est restée dans mon souvenir comme une des luttes les plus dangereuses que j’ai subies. La comtesse, douée par la nature des qualités nécessaires pour exercer d’irrésistibles séductions, se montra tour à tour souple, fière, caressante, confiante ; elle alla même jus-