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toujours rendre le prix de la vente. Consentez à un réméré de sept à huit mois, d’un an même, laps de temps qui vous permettra de rendre la somme empruntée par madame la comtesse à moins que vous ne préfériez les racheter dès aujourd’hui en donnant des garanties pour le paiement. L’usurier trempait son pain dans la tasse et mangeait avec une parfaite indifférence ; mais au mot de transaction il me regarda comme s’il disait : — Le gaillard ! comme il profite de mes leçons. De mon côté je lui ripostai par une œillade qu’il comprit à merveille. L’affaire était fort douteuse, ignoble ; il devenait urgent de transiger. Gobseck n’aurait pas eu la ressource de la dénégation, j’aurais dit la vérité. Le comte me remercia par un bienveillant sourire. Après un débat dans lequel l’adresse et l’avidité de Gobseck auraient mis en défaut toute la diplomatie d’un congrès, je préparai un acte par lequel le comte reconnut avoir reçu de l’usurier une somme de quatre-vingt-cinq mille francs, intérêts compris, et moyennant la reddition de laquelle Gobseck s’engageait à remettre les diamants au comte. — Quelle dilapidation ! s’écria le mari en signant. Comment jeter un pont sur cet abîme ? — Monsieur, dit gravement Gobseck, avez-vous beaucoup d’enfants ? Cette demande fit tressaillir le comte comme si semblable à un savant médecin, l’usurier eût mis tout à coup le doigt sur le siège du mal. Le mari ne répondit pas. — Eh ! bien reprit Gobseck en comprenant le douloureux silence du comte, je sais votre histoire par cœur. Cette femme est un démon que vous aimez peut-être encore ; je le crois bien, elle m’a ému. Peut-être voudriez-vous sauver votre fortune, la réserver à un ou deux de vos enfants. Eh ! bien, jetez-vous dans le tourbillon du monde, jouez, perdez cette fortune, venez trouver souvent Gobseck. Le monde dira que je suis un juif, un arabe, un usurier, un corsaire, que je vous aurai ruiné ! Je m’en moque ! Si l’on m’insulte, je mets mon homme à bas, personne ne tire aussi bien le pistolet et l’épée que votre serviteur. On le sait ! Puis ayez un ami, si vous pouvez en rencontrer un auquel vous ferez une vente simulée de vos biens. — N’appelez-vous pas cela un fidéicommis ? me demanda-t-il en se tournant vers moi. Le comte parut entièrement absorbé dans ses pensées et nous quitta en nous disant : — Vous aurez votre argent demain, monsieur, tenez les diamants prêts. — Ça m’a l’air d’être bête comme un honnête homme, me dit froidement Gobseck quand le comte fut parti. — Dites plutôt bête