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le pauvre mourant, et lui dis comment et pourquoi il m’avait chargé de ce fatal message. Ses yeux se séchèrent alors sous le feu sombre qui s’échappa des plus profondes régions de l’âme. Elle put pâlir encore. Lorsque je lui tendis les lettres que je gardais sous mon oreiller, elle les prit machinalement ; puis elle tressaillit violemment, et me dit d’une voix creuse : — Et moi qui brûlais les siennes ! Je n’ai rien de lui ! rien ! rien.

Elle se frappa fortement au front.

— Madame, lui dis-je. Elle me regarda par un mouvement convulsif. — J’ai coupé sur sa tête, dis-je en continuant, une mèche de cheveux que voici.

Et je lui présentai ce dernier, cet incorruptible lambeau de celui qu’elle aimait. Ah ! si vous aviez reçu comme moi les larmes brûlantes qui tombèrent alors sur mes mains, vous sauriez ce qu’est la reconnaissance quand elle est si voisine du bienfait ! Elle me serra les mains, et d’une voix étouffée, avec un regard brillant de fièvre, un regard où son frêle bonheur rayonnait à travers d’horribles souffrances : — Ah ! vous aimez ! dit-elle. Soyez toujours heureux ! ne perdez pas celle qui vous est chère !

Elle n’acheva pas, et s’enfuit avec son trésor.

Le lendemain, cette scène nocturne, confondue dans mes rêves, me parut être une fiction. Il fallut, pour me convaincre de la douloureuse vérité, que je cherchasse infructueusement les lettres sous mon chevet. Il serait inutile de vous raconter les événements du lendemain. Je restai plusieurs heures encore avec la Juliette que m’avait tant vantée mon pauvre compagnon de voyage. Les moindres paroles, les gestes, les actions de cette femme me prouvèrent la noblesse d’âme, la délicatesse de sentiment qui faisaient d’elle une de ces chères créatures d’amour et de dévouement si rares semées sur cette terre. Le soir, le comte de Montpersan me conduisit lui-même jusqu’à Moulins. En y arrivant, il me dit avec une sorte d’embarras : — Monsieur, si ce n’est pas abuser de votre complaisance, et agir bien indiscrètement avec un inconnu auquel nous avons déjà des obligations, voudriez-vous avoir la bonté de remettre, à Paris, puisque vous y allez, chez monsieur de… (j’ai oublié le nom), rue du Sentier, une somme que je lui dois, et qu’il m’a prié de lui faire promptement passer ?

— Volontiers, dis-je.

Et dans l’innocence de mon âme, je pris un rouleau de vingt-