Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/37

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j’éprouve en entendant Garcia dans son magnifique duo avec Pellegrini dans Otello. Mon Dieu ! combien ce Rossini doit être jaloux pour avoir si bien exprimé la jalousie ? Quel cri que : Il mio cor si divide. Je te parle grec, tu n’as pas entendu Garcia, mais tu sais combien je suis jalouse ! Quel triste dramaturge que Shakespeare ! Othello se prend de gloire, il remporte des victoires, il commande, il parade, il se promène en laissant Desdémone dans son coin, et Desdémone, qui le voit préférant à elle les stupidités de la vie publique, ne se fâche point ? cette brebis mérite la mort. Que celui que je daignerai aimer s’avise de faire autre chose que de m’aimer ! Moi, je suis pour les longues épreuves de l’ancienne chevalerie. Je regarde comme très impertinent et très sot ce paltoquet de jeune seigneur qui a trouvé mauvais que sa souveraine l’envoyât chercher son gant au milieu des lions : elle lui réservait sans doute quelque belle fleur d’amour, et il l’a perdue après l’avoir méritée, l’insolent ! Mais je babille comme si je n’avais pas de grandes nouvelles à t’apprendre ! Mon père va sans doute représenter le roi notre maître à Madrid : je dis notre maître, car je ferai partie de l’ambassade. Ma mère désire rester ici, mon père m’emmènera pour avoir une femme près de lui.

Ma chère, tu ne vois là rien que de simple, et néanmoins il y a là des choses monstrueuses : en quinze jours, j’ai découvert les secrets de la maison. Ma mère suivrait mon père à Madrid, s’il voulait prendre monsieur de Saint-Héreen en qualité de secrétaire d’ambassade ; mais le roi désigne les secrétaires, le duc n’ose pas contrarier le roi qui est fort absolu, ni fâcher ma mère ; et ce grand politique croit avoir tranché les difficultés en laissant ici la duchesse. Monsieur de Saint-Héreen est le jeune homme qui cultive la société de ma mère, et qui étudie sans doute avec elle la diplomatie de trois heures à cinq heures. La diplomatie doit être une belle chose, car il est assidu comme un joueur à la Bourse. Monsieur le duc de Rhétoré, notre aîné, solennel, froid et fantasque, serait écrasé par son père à Madrid, il reste à Paris. Miss Griffith sait d’ailleurs qu’Alphonse aime une danseuse de l’Opéra. Comment peut-on aimer des jambes et des pirouettes ? Nous avons remarqué que mon frère assiste aux représentations quand y danse Tullia, il applaudit les pas de cette créature et sort après. Je crois que deux filles dans une maison y font plus de ravages que n’en ferait la peste. Quant à mon second frère, il est à son régiment, je ne