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paternels, éclairés par un soleil qui les brûle sans y rien laisser croître. Reste orgueilleux d’une race déchue, force inutile, amour perdu, vieux jeune homme, j’attendrai donc où je suis, mieux que partout ailleurs, la dernière faveur de la mort. Hélas ! sous ce ciel brumeux, aucune étincelle ne ranimera la flamme dans toutes ces cendres. Aussi pourrais-je dire pour dernier mot, comme Jésus-Christ : Mon Dieu, tu m’as abandonné ! Terrible parole que personne n’a osé sonder.

Juge, Fernand, combien je suis heureux de revivre en toi et en Marie ! je vous contemplerai désormais avec l’orgueil d’un créateur fier de son œuvre. Aimez-vous bien et toujours, ne me donnez pas de chagrins : un orage entre vous me ferait plus de mal qu’à vous-mêmes.

Notre mère avait pressenti que les événements serviraient un jour ses espérances. Peut-être le désir d’une mère est-il un contrat passé entre elle et Dieu. N’était-elle pas d’ailleurs un de ces êtres mystérieux qui peuvent communiquer avec le ciel et qui en rapportent une vision de l’avenir ! Combien de fois n’ai-je pas lu dans les rides de son front qu’elle souhaitait à Fernand les honneurs et les biens de Felipe ! Je le lui disais, elle me répondait par deux larmes et me montrait les plaies d’un cœur qui nous était dû tout entier à l’un comme à l’autre, mais qu’un invincible amour donnait à toi seul. Aussi son ombre joyeuse planera-t-elle au-dessus de vos têtes quand vous les inclinerez à l’autel. Viendrez-vous caresser enfin votre Felipe, dona Clara ? vous le voyez : il cède à votre bien-aimé jusqu’à la jeune fille que vous poussiez à regret sur ses genoux.

Ce que je fais plaît aux femmes, aux morts, au roi, Dieu le voulait, n’y dérange donc rien, Fernand : obéis et tais-toi.

P. S. Recommande à Urraca de ne pas me nommer autrement que monsieur Hénarez. Ne dis pas un mot de moi à Marie. Tu dois être le seul être vivant qui sache les secrets du dernier Maure christianisé, dans les veines duquel mourra le sang de la grande famille née au désert, et qui va finir dans la solitude. Adieu.