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apercevant ces mots, un voile épais se répandit sur les yeux de la marquise. La voix secrète de son cœur lui criait : — Il ment. Puis, sa vue embrassant toute la première page avec cette espèce d’avidité lucide que communique la passion, elle avait lu en bas ces mots : Rien n’est arrêté… Tournant la page avec une vivacité convulsive, elle vit distinctement l’esprit qui avait dicté les phrases entortillées de cette lettre où elle ne retrouva plus les jets impétueux de l’amour ; elle la froissa, la déchira, la roula, la mordit, la jeta dans le feu, et s’écria : — Oh ! l’infâme ! il m’a possédée ne m’aimant plus !…

Puis, demi-morte, elle alla se jeter sur son canapé.

Monsieur de Nueil sortit après avoir écrit sa lettre. Quand il revint, il trouva Jacques sur le seuil de la porte, et Jacques lui remit une lettre en lui disant : — Madame la marquise n’est plus au château.

Monsieur de Nueil étonné brisa l’enveloppe et lut : « Madame, si je cessais de vous aimer en acceptant les chances que vous m’offrez d’être un homme ordinaire, je mériterais bien mon sort, avouez-le ? Non, je ne vous obéirai pas et je vous jure une fidélité qui ne se déliera que par le mort. Oh ! prenez ma vie, à moins cependant que vous ne craigniez de mettre un remords dans la vôtre… » C’était le billet qu’il avait écrit à la marquise au moment où elle partait pour Genève. Au-dessous, Claire de Bourgogne avait ajouté : Monsieur, vous êtes libre.

Monsieur de Nueil retourna chez sa mère, à Manerville. Vingt jours après, il épousa mademoiselle Stéphanie de La Rodière.

Si cette histoire d’une vérité vulgaire se terminait là, ce serait presque une mystification. Presque tous les hommes n’en ont-ils pas une plus intéressante à se raconter ? Mais la célébrité du dénouement, malheureusement vrai ; mais tout ce qu’il pourra faire naître de souvenirs au cœur de ceux qui ont connu les célestes délices d’une passion infinie, et l’ont brisée eux-mêmes ou perdue par quelque fatalité cruelle, mettront peut-être ce récit à l’abri des critiques.

Madame la marquise de Beauséant n’avait point quitté son château de Valleroy lors de sa séparation avec monsieur de Nueil. Par une multitude de raisons qu’il faut laisser ensevelies dans le cœur des femmes, et d’ailleurs chacune d’elles devinera celles qui lui seront propres, Claire continua d’y demeurer après le mariage de monsieur