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mais rends-lui la conscience de son amour et du tien : toute la femme est dans ce sentiment, qui sanctifie tout. Depuis l’arrivée de ta mère, et depuis que tu as vu chez elle mademoiselle de La Rodière, je suis en proie à des doutes qui nous déshonorent. Fais-moi souffrir, mais ne me trompe pas : je veux tout savoir, et ce que ta mère te dit et ce que tu penses ! Si tu as hésité entre quelque chose et moi, je te rends ta liberté… Je te cacherai ma destinée, je saurai ne pas pleurer devant toi ; seulement, je ne veux plus te revoir… Oh ! je m’arrête, mon cœur se brise. »

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« Je suis restée morne et stupide pendant quelques instants. Ami, je ne me trouve point de fierté contre toi, tu es si bon, si franc ! tu ne saurais ni me blesser, ni me tromper ; mais tu me diras la vérité, quelque cruelle qu’elle puisse être. Veux-tu que j’encourage tes aveux ? Eh ! bien, cœur à moi, je serai consolée par une pensée de femme. N’aurais-je pas possédé de toi l’être jeune et pudique, toute grâce, toute beauté, toute délicatesse, un Gaston que nulle femme ne peut plus connaître et de qui j’ai délicieusement joui… Non, tu n’aimeras plus comme tu m’as aimée, comme tu m’aimes ; non, je ne saurais avoir de rivale. Mes souvenirs seront sans amertume en pensant à notre amour, qui fait toute ma pensée. N’est-il pas hors de ton pouvoir d’enchanter désormais une femme par les agaceries enfantines, par les jeunes gentillesses d’un cœur jeune, par ces coquetteries d’âme, ces grâces du corps et ces rapides ententes de volupté, enfin par l’adorable cortége qui suit l’amour adolescent ? Ah, tu es homme ! maintenant, tu obéiras à ta destinée en calculant tout. Tu auras des soins, des inquiétudes, des ambitions, des soucis qui la priveront de ce sourire constant et inaltérable par lequel tes lèvres étaient toujours embellies pour moi. Ta voix, pour moi toujours si douce, sera parfois chagrine. Tes yeux, sans cesse illuminés d’un éclat céleste en me voyant, se terniront souvent pour elle. Puis, comme il est impossible de t’aimer comme je t’aime, cette femme ne te plaira jamais autant que je t’ai plu. Elle n’aura pas ce soin perpétuel que j’ai eu de moi-même et cette étude continuelle de ton bonheur dont jamais l’intelligence ne m’a manqué. Oui, l’homme, le cœur, l’âme que j’aurai connus n’existeront plus ; je les ensevelirai dans mon souvenir pour en jouir encore, et vivre heureuse de cette belle vie passée, mais inconnue à tout ce qui n’est pas nous.