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humiliée de les accepter. Un jour, tout vous commandera, la nature elle-même vous ordonnera de me quitter ; je vous l’ai dit, je préfère la mort à l’abandon. Vous le voyez, le malheur m’a appris à calculer. Je raisonne, je n’ai point de passion. Vous me forcez à vous dire que je ne vous aime point, que je ne dois, ne peux, ni ne veux vous aimer. J’ai passé le moment de la vie où les femmes cèdent à des mouvements de cœur irréfléchis, et ne saurais plus être la maîtresse que vous quêtez. Mes consolations, monsieur, viennent de Dieu, non des hommes. D’ailleurs je lis trop clairement dans les cœurs à la triste lumière de l’amour trompé, pour accepter l’amitié que vous demandez, que vous offrez. Vous êtes la dupe de votre cœur, et vous espérez bien plus en ma faiblesse qu’en votre force. Tout cela est un effet d’instinct. Je vous pardonne cette ruse d’enfant, vous n’en êtes pas encore complice. Je vous ordonne, au nom de cet amour passager, au nom de votre vie, au nom de ma tranquillité, de rester dans votre pays, de ne pas y manquer une vie honorable et belle pour une illusion qui s’éteindra nécessairement. Plus tard, lorsque vous aurez, en accomplissant votre véritable destinée, développé tous les sentiments qui attendent l’homme, vous apprécierez ma réponse, que vous accusez peut-être en ce moment de sécheresse. Vous retrouverez alors avec plaisir une vieille femme dont l’amitié vous sera certainement douce et précieuse : elle n’aura été soumise ni aux vicissitudes de la passion, ni aux désenchantements de la vie ; enfin de nobles idées, des idées religieuses la conserveront pure et sainte. Adieu, monsieur, obéissez-moi en pensant que vos succès jetteront quelque plaisir dans ma solitude, et ne songez à moi que comme on songe aux absents. »

Après avoir lu cette lettre, Gaston de Nueil écrivit ces mots :

« Madame, si je cessais de vous aimer en acceptant les chances que vous m’offrez d’être un homme ordinaire, je mériterais bien mon sort, avouez-le ? Non, je ne vous obéirai pas, et je vous jure une fidélité qui ne se déliera que par la mort. Oh ! prenez ma vie, à moins cependant que vous ne craigniez de mettre un remords dans la vôtre… »

Quand le domestique de monsieur de Nueil revint de Courcelles, son maître lui dit : — À qui as-tu remis mon billet ?