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menade vers le pavillon de Courcelles, et fit plusieurs fois le tour de l’enclos qui en dépendait. Dupé par les illusions auxquelles il est si naturel de croire à son âge, il regardait à travers les brèches ou par-dessus les murs, restait en contemplation devant les persiennes fermées ou examinait celles qui étaient ouvertes. Il espérait un hasard romanesque, il en combinait les effets sans s’apercevoir de leur impossibilité, pour s’introduire auprès de l’inconnue. Il se promena pendant plusieurs matinées fort infructueusement ; mais, à chaque promenade, cette femme placée en dehors du monde, victime de l’amour, ensevelie dans la solitude, grandissait dans sa pensée et se logeait dans son âme. Aussi le cœur de Gaston battait-il d’espérance et de joie si par hasard, en longeant les murs de Courcelles, il venait à entendre le pas pesant de quelque jardinier.

Il pensait bien à écrire à madame de Beauséant ; mais que dire à une femme que l’on n’a pas vue et qui ne nous connaît pas ? D’ailleurs Gaston se défiait de lui-même ; puis, semblable aux jeunes gens encore pleins d’illusions, il craignait plus que la mort les terribles dédains du silence, et frissonnait en songeant à toutes les chances que pouvait avoir sa première prose amoureuse d’être jetée au feu. Il était en proie à mille idées contraires qui se combattaient. Mais enfin, à force d’enfanter des chimères, de composer des romans et de se creuser la cervelle, il trouva l’un de ces heureux stratagèmes qui finissent par se rencontrer dans le grand nombre de ceux que l’on rêve, et qui révèlent à la femme la plus innocente l’étendue de la passion avec laquelle un homme s’est occupé d’elle. Souvent les bizarreries sociales créent autant d’obstacles réels entre une femme et son amant que les poètes orientaux en ont mis dans les délicieuses fictions de leurs contes, et leurs images les plus fantastiques sont rarement exagérées. Aussi, dans la nature comme dans le monde des fées, la femme doit-elle toujours appartenir à celui qui sait arriver à elle et la délivrer de la situation où elle languit. Le plus pauvre des calenders, tombant amoureux de la fille d’un calife, n’en était pas certes séparé par une distance plus grande que celle qui se trouvait entre Gaston et madame de Beauséant. La vicomtesse vivait dans une ignorance absolue des circonvallations tracées autour d’elle par monsieur de Nueil, dont l’amour s’accroissait de toute la grandeur des obstacles à franchir, et qui donnaient à sa maîtresse improvisée les attraits que possède toute chose lointaine.