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— De l’ironie ?… Je m’y attendais, dit-elle en baissant la tête.

— Marie, ne vois-tu pas, mon ange, que j’ai dit ces paroles pour t’arracher ton secret ?

— Mon secret sera toujours un secret, même après vous avoir été confié.

— Eh, bien, dis…

— Je ne suis pas aimée, reprit-elle en lui lançant ce regard oblique et fin par lequel les femmes interrogent si malicieusement l’homme qu’elles veulent tourmenter.

— Pas aimée ?… s’écria Nathan.

— Oui, vous vous occupez de trop de choses. Que suis-je au milieu de tout ce mouvement ? oubliée à tout propos. Hier, je suis venue au bois, je vous y ai attendu…

— Mais…

— J’avais mis une nouvelle robe pour vous, et vous n’êtes pas venu, où étiez-vous ?

— Mais…

— Je ne le savais pas. Je vais chez madame d’Espard, je ne vous y trouve point.

— Mais…

— Le soir, à l’Opéra, mes yeux n’ont pas quitté le balcon. Chaque fois que la porte s’ouvrait, c’était des palpitations à me briser le cœur.

— Mais…

— Quelle soirée ! Vous ne vous doutez pas de ces tempêtes du cœur.

— Mais…

— La vie s’use à ces émotions…

— Mais…

— Eh ! bien, dit-elle.

— Oui, la vie s’use, dit Nathan, et vous aurez en quelques mois dévoré la mienne. Vos reproches insensés m’arrachent aussi mon secret, dit-il. Ah ! vous n’êtes pas aimée ?… vous l’êtes trop.

Il peignit vivement sa situation, raconta ses veilles, détailla ses obligations à heure fixe, la nécessité de réussir, les insatiables exigences d’un journal où l’on était tenu de juger, avant tout le monde, les événements sans se tromper, sous peine de perdre son pouvoir, enfin combien d’études rapides sur les questions qui passaient aussi rapidement que des nuages à cette époque dévorante.