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chesse, les beaux esprits se réveillèrent dans les murs froids et démeublés de la misère, pleins de marques de clous, déshonorés par les bizarreries discordantes qui sont sous les tentures comme les ficelles derrière les décorations d’Opéra.

— Tiens, Florine, la pauvre fille est saisie, cria Bixiou, l’un des convives. À vos poches ! une souscription !

En entendant ces mots, l’assemblée fut sur pied. Toutes les poches vidées produisirent trente-sept francs, que Raoul apporta railleusement à la rieuse. L’heureuse courtisane souleva sa tête de dessus son oreiller, et montra sur le drap une masse de billets de banque, épaisse comme au temps où les oreillers des courtisanes pouvaient en rapporter autant, bon an mal an. Raoul appela Blondet.

— J’ai compris, dit Blondet. La friponne s’est exécutée sans nous le dire. Bien, mon petit ange !

Ce trait fit porter l’actrice en triomphe et en déshabillé dans la salle à manger par les quelques amis qui restaient. L’avocat et les banquiers étaient partis. Le soir, Florine eut un succès étourdissant au théâtre. Le bruit de son sacrifice avait circulé dans la salle.

— J’aimerais mieux être applaudie pour mon talent, lui dit sa rivale au foyer.

— C’est un désir bien naturel chez une artiste qui n’est encore applaudie que pour ses bontés, lui répondit-elle.

Pendant la soirée, la femme de chambre de Florine l’avait installée au passage Sandrié dans l’appartement de Raoul. Le journaliste devait camper dans la maison où les bureaux du journal furent établis.

Telle était la rivale de la candide madame de Vandenesse. La fantaisie de Raoul unissait comme par un anneau la comédienne à la comtesse ; horrible nœud qu’une duchesse trancha, sous Louis XV, en faisant empoisonner la Lecouvreur, vengeance très-concevable quand on songe à la grandeur de l’offense.

Florine ne gêna pas les débuts de la passion de Raoul. Elle prévit des mécomptes d’argent dans la difficile entreprise où il se jetait, et voulut un congé de six mois. Raoul conduisit vivement la négociation, et la fit réussir de manière à se rendre encore plus cher à Florine. Avec le bon sens du paysan de la fable de La Fontaine, qui assure le dîner pendant que les patriciens devisent, l’actrice alla couper des fagots en province et à l’étranger, pour entretenir l’homme célèbre pendant qu’il donnait la chasse au pouvoir.