Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/217

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homme doit épouser une fille très-instruite qui a lu les annonces des journaux et les a commentées, qui a valsé et dansé le galop avec mille jeunes gens, qui est allée à tous les spectacles, qui a dévoré des romans, à qui un maître de danse a brisé les genoux en les appuyant sur les siens, qui de religion ne se soucie guère, et s’est fait à elle-même sa morale ; ou une jeune fille ignorante et pure, comme étaient Marie-Angélique et Marie-Eugénie. Peut-être y a-t-il autant de danger avec les unes qu’avec les autres. Cependant l’immense majorité des gens qui n’ont pas l’âge d’Arnolphe aiment encore mieux une Agnès religieuse qu’une Célimène en herbe.

Les deux Marie, petites et minces, avaient la même taille, le même pied, la même main. Eugénie, la plus jeune, était blonde comme sa mère. Angélique était brune comme le père. Mais toutes deux avaient le même teint : une peau de ce blanc nacré qui annonce la richesse et la pureté du sang, jaspée par des couleurs vivement détachées sur un tissu nourri comme celui du jasmin, comme lui fin, lisse et tendre au toucher. Les yeux bleus d’Eugénie, les yeux bruns d’Angélique avaient une expression de naïve insouciance, d’étonnement non prémédité, bien rendue par la manière vague dont flottaient leurs prunelles sur le blanc fluide de l’œil. Elles étaient bien faites : leurs épaules un peu maigres devaient se modeler plus tard. Leurs gorges, si long-temps voilées, étonnèrent le regard par leurs perfections quand leurs maris les prièrent de se décolleter pour le bal : l’un et l’autre jouirent alors de cette charmante honte qui fit rougir d’abord à huis clos et pendant toute une soirée ces deux ignorantes créatures. Au moment où commence cette scène, où l’aînée pleurait et se laissait consoler par sa cadette, leurs mains et leurs bras étaient devenus d’une blancheur de lait. Toutes deux, elles avaient nourri, l’une un garçon, l’autre une fille. Eugénie avait paru très-espiègle à sa mère, qui pour elle avait redoublé d’attention et de sévérité. Aux yeux de cette mère redoutée, Angélique, noble et fière, semblait avoir une âme pleine d’exaltation qui se garderait toute seule, tandis que la lutine Eugénie paraissait avoir besoin d’être contenue. Il est de charmantes créature méconnues par le sort, à qui tout devrait réussir dans la vie, mais qui vivent et meurent malheureuses, tourmentées par un mauvais génie, victimes de circonstances imprévues. Ainsi l’innocente, la gaie Eugénie était tombée sous le malicieux despotisme d’un parvenu au sortir de la prison maternelle. Angélique, disposée aux grandes luttes