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15 juillet.

Ma chère, depuis cette matinée, j’ai redoublé d’amour pour Gaston, et je l’ai trouvé plus amoureux que jamais ; il est si jeune ! Vingt fois, à notre lever, je suis près de lui dire : — Tu m’aimes donc plus que celle de la rue de la Ville-Lévêque ? Mais je n’ose m’expliquer le mystère de mon abnégation. — Tu aimes bien les enfants ? lui ai-je demandé. — Oh ! oui, m’a-t-il répondu ; mais nous en aurons ! — Et comment ? — J’ai consulté les médecins les plus savants, et tous m’ont conseillé de faire un voyage de deux mois. — Gaston, lui ai-je dit, si j’avais pu aimer un absent, je serais restée au couvent pour le reste de mes jours. Il s’est mis à rire, et moi, ma chère, le mot voyage m’a tuée. Oh ! certes, j’aime mieux sauter par la fenêtre que de me laisser rouler dans les escaliers en me retenant de marche en marche. Adieu, mon ange, j’ai rendu ma mort douce, élégante, mais infaillible. Mon testament est écrit d’hier ; tu peux maintenant me venir voir, la consigne est levée. Accours recevoir mes adieux. Ma mort sera, comme ma vie, empreinte de distinction et de grâce : je mourrai tout entière.

Adieu, cher esprit de sœur, toi dont l’affection n’a eu ni dégoûts, ni hauts, ni bas, et qui, semblable à l’égale clarté de la lune, as toujours caressé mon cœur ; nous n’avons point connu les vivacités, mais nous n’avons pas goûté non plus à la vénéneuse amertume de l’amour. Tu as vu sagement la vie. Adieu !




LV

LA COMTESSE DE L’ESTORADE À MADAME GASTON.


16 juillet.

Ma chère Louise, je t’envoie cette lettre par un exprès avant de courir au Chalet moi-même. Calme-toi. Ton dernier mot m’a paru si insensé que j’ai cru pouvoir, en de pareilles circonstances, tout confier à Louis : il s’agissait de te sauver de toi-même. Si, comme