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Griffith, qui lui a été donnée par l’ambassadeur d’Angleterre. Cette miss est la fille d’un ministre : elle est parfaitement élevée ; sa mère était noble, elle a trente-six ans, elle m’apprendra l’anglais. Ma Griffith est assez belle pour avoir des prétentions ; elle est pauvre et fière, elle est écossaise, elle sera mon chaperon, elle couchera dans la chambre de Rose. Rose sera aux ordres de miss Griffith. J’ai vu sur-le-champ que je gouvernerais ma gouvernante. Depuis six jours que nous sommes ensemble, elle a parfaitement compris que moi seule puis m’intéresser à elle ; moi, malgré sa contenance de statue, j’ai compris parfaitement qu’elle sera très-complaisante pour moi. Elle me semble une bonne créature, mais discrète. Je n’ai rien pu savoir de ce qui s’est dit entre elle et ma mère.

Autre nouvelle qui me paraît peu de chose !

Ce matin mon père a refusé le ministère qui lui a été proposé. De là sa préoccupation de la veille. Il préfère une ambassade, a-t-il dit, aux ennuis des discussions publiques. L’Espagne lui sourit. J’ai su ces nouvelles au déjeuner, seul moment de la journée où mon père, ma mère, mon frère se voient dans une sorte d’intimité. Les domestiques ne viennent alors que quand on les sonne. Le reste du temps, mon frère est absent aussi bien que mon père. Ma mère s’habille, elle n’est jamais visible de deux heures à quatre : à quatre heures, elle sort pour une promenade d’une heure ; elle reçoit de six à sept quand elle ne dîne pas en ville ; puis la soirée est employée par les plaisirs, le spectacle, le bal, les concerts, les visites. Enfin sa vie est si remplie que je ne crois pas qu’elle ait un quart d’heure à elle. Elle doit passer un temps assez considérable à sa toilette du matin, car elle est divine au déjeuner, qui a lieu entre onze heures et midi. Je commence à m’expliquer les bruits qui se font chez elle : elle prend d’abord un bain presque froid, et une tasse de café à la crème et froid, puis elle s’habille ; elle n’est jamais éveillée avant neuf heures, excepté les cas extraordinaires ; l’été il y a des promenades matinales à cheval. À deux heures, elle reçoit un jeune homme que je n’ai pu voir encore. Voilà notre vie de famille. Nous nous rencontrons à déjeuner et à dîner ; mais je suis souvent seule avec ma mère à ce repas. Je devine que plus souvent encore je dînerai seule chez moi avec miss Griffith, comme faisait ma grand’mère. Ma mère dîne souvent en ville. Je ne m’étonne plus du peu de souci de ma famille pour moi. Ma chère, à Paris, il y a de l’héroïsme à aimer les gens qui sont auprès de nous, car nous ne sommes pas